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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/261

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pouvaient exécuter, ou remplir à leur gré, sans danger de responsabilité matérielle. Ajoutez qu’ils avaient la griffe, qu’on avait voulu me faire adopter, et que j’avais repoussée comme l’arme des rois fainéants. Parmi ces ministres, les uns pouvaient avoir de l’argent sans emploi, et les autres ne pas marcher faute d’avoir un denier. Point de centralité qui pût coordonner leurs mouvements, disposer leurs besoins, ajuster leur exécution. »

L’Empereur observait que le ministre secrétaire d’État était précisément le véritable lot des princes incapables, mais susceptibles, lesquels auraient besoin d’un premier ministre, et n’en voudraient point convenir. « Mon ministre secrétaire d’État, disait-il, une fois qu’il eût été nommé président du Conseil d’État, se serait trouvé, dès cet instant, un véritable premier ministre dans toute l’étendue du terme, car il eût porté ses idées au Conseil d’État pour les faire rédiger en lois, et eût signé au nom du prince. Aussi, avec les mœurs de la première race, disait-il, ou des princes à l’avenant, mon ministre secrétaire d’État n’eût pas manqué en peu de temps d’être un maire du palais. »


Intention de Napoléon sur les classiques anciens.


Dimanche 22.

L’Empereur est revenu à ses recherches sur l’Égypte. Il m’a donné Strabon à feuilleter : c’était l’édition qu’il avait fait faire ; il en vantait le soigné et le fini, et disait que son projet avait été de nous donner ainsi, avec le temps, tous les anciens par la voie officielle de l’Institut.


Sur la sensibilité – Sur les Occidentaux et les Orientaux ; leur différence, etc..


Lundi 23.

Le matin, dans sa chambre, l’Empereur, à travers une foule d’objets, est venu à causer sentiment, sensations, sensibilité ; et, citant à ce sujet l’un de nous qui, observait-il, ne prononçait le nom de sa mère que les larmes aux yeux, il a dit : « Mais cela ne lui est-il pas particulier ? est-ce donc général ? êtes-vous de même, ou suis-je dénaturé ? Pour moi, j’aime assurément ma mère, et de tout mon cœur ; il n’est rien que je ne fisse pour elle, et cependant si j’apprenais sa perte, je ne crois pas que je pusse exprimer ma douleur par une larme, et je n’affirmerais pas qu’il en fût de même pour la perte d’un ami, celle de ma femme ou de mon fils. Cette différence est-elle dans la nature ? Quel peut en être le motif ? Ne serait-ce pas que la raison m’a accoutumé d’avance à la perte de ma mère, qui est dans l’ordre naturel des choses, tandis que celle de ma femme et de mon fils est une sur-