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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/334

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À l’heure de sa toilette, l’Empereur se faisait couper les cheveux par Santini ; j’étais à son côté, un tant soit peu en arrière, une grosse touffe est tombée à mes pieds. L’Empereur, me voyant me baisser, a demandé ce que c’était. J’ai répondu que j’avais laissé tomber quelque chose que je ramassais : il m’a pincé l’oreille en souriant. Il venait de deviner.

Plus tard, parlant de la dépravation et de l’immoralité des mœurs du temps, lorsqu’il commandait l’armée de l’intérieur à Paris, Napoléon racontait qu’un ordonnateur en chef vint lui demander quelques signatures, et le prier d’appuyer certaines nominations et certaines fournitures, ce qu’il n’hésita pas à promettre, parce que cela lui semblait juste. L’ordonnateur, en se retirant, laissa très adroitement sur la cheminée deux petits rouleaux de cent louis. On ne connaissait encore que les assignats ; c’était donc une somme énorme : très heureusement le général fut le premier à s’en apercevoir, et, avant que le visiteur fût loin, on le rappela. Il essaya de nier d’abord ; puis il ajouta de bonne foi qu’il fallait que chacun vécût ; que le gouvernement ne donnait point d’appointements ; que cette manière était aujourd’hui l’usage général, et qu’après tout il priait qu’on ne se fâchât pas, qu’il était rare qu’on eût à solliciter de pareils pardons.

L’Empereur, au moment de la promenade, se trouvait fort assoupi, et, voulant se vaincre, il n’en est pas moins sorti, et en dépit d’un vent très-violent. Au bout de quelques pas, il a renoncé à sa promenade, et nous avons gagné l’appartement de madame de Montholon. À peine assis sur le canapé, l’Empereur s’y est assoupi de nouveau. Il est sorti encore pour vaincre cette disposition, et a gagné le salon. Il se plaignait d’une forte chaleur intérieure ; il a demandé un verre d’eau panée, et, l’assoupissement continuant toujours, il a pris le parti d’y céder, et s’est retiré dans sa chambre.

L’Empereur a fort peu mangé à dîner ; son état avait quelque chose d’extraordinaire. Avant, durant et après le dîner, il se sentait vaincu par l’assoupissement qui durait depuis le matin ; et sa crainte, a-t-il dit en nous quittant, était de ne pas dormir, tant ce qu’il éprouvait était contraire à sa nature. D’ordinaire il dort profondément quand il en a besoin, au lieu qu’ici ce n’avait été tout le jour que du sommeillage, disait-il.


Louis XVI – Marie-Antoinette – Madame Campan – Léonard – Princesse Lamballe.


Jeudi 17.

Vers midi, l’Empereur m’a fait demander ; il ne se trouvait pas mieux,