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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/354

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se coucher ; et, ne voulant pas manger, il s’est fait lui-même de l’eau panée, dans laquelle il mettait du sucre, de la fleur d’oranger et du pain que lui faisait griller son valet de chambre.

À travers bien des sujets perdus, voici quelques mots recueillis sur l’immoralité. « L’immoralité, disait l’Empereur, est, sans contredit, la disposition la plus funeste qui puisse se trouver dans le souverain, en ce qu’il la met aussitôt à la mode, qu’on s’en fait honneur pour lui plaire, qu’elle fortifie tous les vices, entame toutes les vertus, infecte toute la société comme une véritable peste ; c’est le fléau d’une nation. La morale publique, au contraire, ajoutait-il, est le complément naturel de toutes les lois : elle est à elle seule tout un code. » Et il prononçait que la révolution, en dépit de toutes ses horreurs, n’en avait pas moins été la vraie cause de la régénération de nos mœurs, « comme les plus sales fumiers provoquent la plus noble végétation. » Et il n’hésitait pas à dire que son administration serait une ère mémorable du retour à la morale. « Nous y courions, disait-il, les voiles pleines ; nul doute que les catastrophes qui ont suivi feront tout rebrousser ; car, au milieu de tant de vicissitudes et de désordres, le moyen qu’on résiste aux tentations de tout genre, aux appâts de l’intrigue, à la cupidité, aux suggestions de la vénalité ! Toutefois on pourra bien arrêter, comprimer le mouvement ascendant d’amélioration, mais non le détruire ; car la moralité publique est du domaine spécial de la raison et des lumières : elle est le résultat naturel, et l’on ne saurait plus faire rétrograder celles-ci. Pour reproduire les scandales et les turpitudes des temps passés, la consécration des doubles adultères, le libertinage de la régence, les débauches du règne qui a suivi, il faudrait reproduire aussi toutes les circonstances d’alors, ce qui est impossible ; il faudrait ramener l’oisiveté absolue de la première classe, qui ne pouvait avoir d’autre occupation que les rapports licencieux des sexes ; il faudrait détruire dans la classe moyenne ce ferment industriel qui agite aujourd’hui toutes les imaginations, agrandit toutes les idées, élève toutes les âmes ; il faudrait enfin replonger les dernières classes dans cet avilissement et cette dégradation qui les réduisaient à n’être que de véritables bêtes de somme ; or tout cela est désormais impossible. Les mœurs publiques sont donc en hausse, et l’on peut prédire qu’elles s’amélioreront graduellement par tout le globe, etc. »

Sur les neuf heures, et déjà au lit, l’Empereur a demandé qu’on fit entrer tout le monde dans sa chambre. Le grand maréchal et sa femme