Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/365

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment fidèle ; et j’espère qu’après m’avoir lu, on me rendra la justice d’avouer que, pour y parvenir, j’ai fait abnégation de tout système, de toutes opinions, de tous partis, de toutes liaisons ; j’ai heurté des sentiments individuels ; je ne me suis point arrêté devant les plus hauts personnages ni les plus hautes considérations. D’un autre côté, je ne me suis point dissimulé aucun des graves inconvénients d’une telle marche, ni les nombreux chagrins qu’elle pouvait me créer : j’avais à craindre, ainsi qu’il n’arrive que trop souvent à l’impartiale vérité, de déplaire à tous et de déchaîner bien des voix ; l’autorité aussi, interprétant mal mes intentions sur un sujet si voisin encore de nos grands évènements, pouvait s’irriter, et j’avais à craindre d’être traduit devant les magistrats ; de là peut-être condamnation, amende, confiscation, prison. Il est bien vrai que j’aurais pu alléger mes embarras et m’y rendre en quelque sorte étranger en donnant ou en vendant mon manuscrit en France ou au dehors ; mais aurais-je rempli mon objet, et en dépit de toute condition de ma part, eût-on manqué de réalités ou de prétextes pour dénaturer ou mutiler ce recueil, dont tout le mérite repose dans son intégrité ? Aussi, tenant à ce qu’il ne subît aucune altération, et voulant demeurer maître jusqu’au dernier instant de la dernière ligne, à tous les autres inconvénients j’ai ajouté encore la chance d’une lésion dans ma fortune, en le publiant à mes risques et périls. D’Angleterre et d’Allemagne on m’a fait offrir un haut prix des portions que les circonstances devaient me forcer, supposait-on, de ne pas publier en France. J’ai répondu que rien n’avait été réservé, et qu’il n’était pas dans ma nature de laisser publier au dehors, sous mon nom, ce que je n’aurais pas osé publier au dedans sous les lois du pays, quelque difficiles, quelque sévères qu’elles pussent me paraître. Du reste, en dépit de toutes inquiétudes, je n’ai jusqu’ici qu’à m’applaudir tout à fait de la marche que j’ai cru devoir suivre. Les témoignages les plus flatteurs me sont arrivés de tout côté, et la loi est demeurée silencieuse ; peut-être même pourrait-elle me savoir quelque gré, dans nos temps de passion, de n’avoir pas désespéré de son impassibilité sur un sujet aussi délicat, et de l’avoir mise à même d’en fournir une preuve aussi décisive. Pour moi, j’en demeure fier pour elle ; grâces lui soient rendues.

Je n’ai prétendu être ni apologiste ni panégyriste ; mais j’ai voulu mettre chacun à même de le devenir à son gré, d’après sa propre conviction et ses propres sentiments ; et c’est ce qui m’a fait conserver dans l’ensemble du recueil jusqu’aux plus petites minuties, afin que chacun pût demeurer frappé par ce caractère de vérité qui naît de la contex-