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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/390

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l’adversité. Caroline est fort habile et très capable. Pauline, la plus belle femme de son temps peut-être, a été et demeurera jusqu’à la fin la meilleure créature vivante. Quant à ma mère, elle est digne de tous les genres de vénération. Quelle famille aussi nombreuse pourrait présenter un plus bel ensemble ! Ajoutez qu’en dehors de la tourmente politique, nous nous aimions. Pour moi, je n’ai jamais cessé un instant de me sentir le cœur d’un frère. Je les ai tous aimés, et je crois bien qu’au fond ils me l’ont tous rendu, et qu’au besoin ils m’en donneraient des preuves, etc. »

Après dîner, il nous a reçus tous près d’une demi-heure. Il était dans son lit, mais parlait beaucoup plus facilement, et se trouvait évidemment mieux. Nous l’avons quitté avec l’espoir de le revoir bientôt rétabli. Nous lui avons fait observer qu’il y avait douze jours qu’il n’avait pas dîné avec nous, que, sans lui, nos journées, notre vie, nos moments se trouvaient tout désorientés et sans couleur.


La géographie, passion du moment – Mon Atlas – Lit de parade arrivé de Londres, vrai piège à rats – Anecdotes apprises des Anglais ; lettre de Sainte-Hélène.


Mardi 5.

L’Empereur continuait de demeurer enfermé chez lui. À l’heure de son bain, il m’a fait appeler comme les jours précédents. La guérison de sa bouche avançait, mais ses dents demeuraient encore fort sensibles. Il a repris la conversation de la veille sur la contexture des parties du globe, c’était en ce moment, de la part de l’Empereur, une véritable veine de passion géographique. Il a pris ma Mappemonde et parcourait la distribution irrégulière des terres et des mers ; il s’arrêtait sur le grand plateau de l’Asie, passait à l’étendue de la mer Pacifique, au resserrement de l’Atlantique ; il se posait des questions sur les vents variables et les vents alizés, les moussons de l’Inde, le calme de la mer Pacifique, les ouragans des Antilles, etc., et trouvait sur la carte, aux lieux mêmes, les solutions physiques et spéculatives que la science donne en ce moment sur ces objets. Cet à-propos le ravissait ; il comparait, méditait, objectait, prononçait et disait : « Ce n’est vraiment qu’avec des tableaux que l’on peut faire des rapprochements : ils éveillent les idées et les provoquent. Que vous avez bien fait de mettre en tableaux l’histoire, la géographie, leurs circonstances remarquables, leurs difficultés, leurs phénomènes, etc., etc. Votre livre m’attache chaque jour davantage[1]. »

  1. En effet, je n’en avais qu’un exemplaire à Sainte-Hélène, et il était constamment dans sa chambre ; s’il m’arrivait de l’emporter pour m’en servir ou y introduire quelques corrections, il était presque