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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/397

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ployer, leur point de départ, la route qu’elles auraient à suivre, les richesses métalliques quelles en rapporteraient, etc. ; et il a donné, sur la plupart de ces points, des détails bien précieux. J’ai le regret de n’en trouver ici que l’indication, et je n’oserais me fier à mes souvenirs pour les reproduire.

L’Empereur a passé de là à ce qu’il appelait la situation admirable de la Russie contre le reste de l’Europe, à l’immensité de sa masse d’invasion. Il peignait cette puissance assise sous le pôle, adossée à des glaces éternelles qui au besoin la rendaient inabordable ; elle n’était attaquable, disait-il, que trois ou quatre mois ou un quart de l’année, tandis qu’elle avait toute l’année entière ou les douze mois contre nous ; elle n’offrait aux assaillants que les rigueurs, les souffrances, les privations d’un sol désert, d’une nature morte ou engourdie, tandis que ses peuples ne se lançaient qu’avec attrait vers les délices de notre midi.

Outre ces circonstances physiques, ajoutait l’Empereur, à sa nombreuse population sédentaire, brave, endurcie, dévouée, passive, se joignaient d’immenses peuplades, dont le dénuement et le vagabondage sont l’état naturel. « On ne peut s’empêcher de frémir, disait-il, à l’idée d’une telle masse, qu’on ne saurait attaquer ni par les côtés ni sur les derrières ; qui déborde impunément sur vous, inondant tout si elle triomphe, ou se retirant au milieu des glaces, au sein de la désolation, de la mort, devenues ses réserves si elle est défaite ; le tout avec la facilité de reparaître aussitôt si le cas le requiert. N’est-ce pas là la tête de l’hydre, l’Antée de la fable, dont on ne saurait venir à bout qu’en le saisissant au corps et l’étouffant dans ses bras ? mais où trouver l’Hercule ? Il n’appartenait qu’à nous d’oser y prétendre, et nous l’avons tenté gauchement, il faut en convenir. »

L’Empereur disait que dans la nouvelle combinaison politique de l’Europe, le sort de cette partie du monde ne tenait plus qu’à la capacité, aux dispositions d’un seul homme. « Qu’il se trouve, disait-il, un empereur de Russie vaillant, impétueux, capable, en un mot un czar qui ait de la barbe au menton (ce qu’il exprimait, du reste, beaucoup plus énergiquement), et l’Europe est à lui. Il peut commencer ses opérations sur le sol allemand même, à cent lieues des deux capitales, Berlin et Vienne, dont les souverains sont les seuls obstacles. Il enlève l’alliance de l’un par la force, et avec son concours abat l’autre d’un revers ; et dès cet instant il est au cœur de l’Allemagne, au milieu des princes du second ordre, dont la plupart sont ses parents ou attendent