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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/43

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se sont jamais montrés que de grands seigneurs que ruinaient leurs gens d’affaires.

« La nation elle-même n’a dans son caractère et ses goûts que du provisoire et du gaspillage. Tout pour le moment et le caprice, rien pour la durée… voilà notre devise et nos mœurs en France. Chacun passe sa vie à faire et à défaire ; il ne reste jamais rien… N’est-il pas indécent que Paris n’ait seulement pas un Théâtre-Français, un Opéra, rien digne de ces destinations !

« J’ai souvent combattu des fêtes que la ville de Paris voulait me donner ; c’étaient des dîners, des bals, des feux d’artifice de quatre, de six, de huit cent mille francs, dont les préparatifs obstruaient plusieurs jours la voie publique, et qui coûtaient ensuite autant à défaire qu’ils avaient coûté à construire. Je prouvais qu’avec ces faux frais ils auraient fait des monuments durables, magnifiques…

« Il faut avoir fait autant que moi pour connaître toute la difficulté de faire le bien. Il fallait parfois toute ma puissance pour pouvoir réussir. S’agissait-il de cheminées, de cloisons, d’ameublements dans les palais impériaux pour quelques particuliers, on courait à pleines voiles ; mais s’agissait-il de prolonger le jardin des Tuileries, d’assainir quelques quartiers, de désobstruer quelques égouts, d’accomplir un bien public qui n’intéressât pas directement quelques particuliers, il fallait tout mon caractère, écrire six, dix lettres par jour et se fâcher tout rouge. C’est ainsi que j’ai employé jusqu’à trente millions en égouts dont personne ne me tiendra jamais compte. J’ai abattu pour dix-sept millions de maisons en face des Tuileries pour former le Carrousel et découvrir le Louvre. Ce que j’ai fait est immense, ce que j’avais arrêté, ce que je projetais encore l’était bien davantage. »

Alors quelqu’un faisait la remarque que les travaux de l’Empereur ne s’étaient bornés ni à Paris ni à la France : presque toutes les villes d’Italie présentaient des traces de sa création. Partout où l’on voyageait, au pied comme à la cime des Alpes, dans les sables de la Hollande, sur les rives du Rhin, l’on retrouvait Napoléon, toujours Napoléon.

À cela il a observé qu’il avait décidé de dessécher les marais Pontins. « César, a-t-il dit, allait s’en occuper quand il périt. » Et revenant à la France : « Les rois, disait-il, avaient trop de maisons de campagne et d’objets inutiles. Un historien impartial aura le droit de blâmer Louis XIV dans ses effroyables et inutiles dépenses de Versailles, sur-