Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patrie ! Si, d’un côté, le cœur se soulève d’indignation, de l’autre il est délicieusement ému !…

Il est sûr que le moment de Fontainebleau accumula sur Napoléon, et presque en un instant, toutes les peines morales dont il est possible d’être affligé ici-bas. Vaincu par la défection, non par les armes, il eut à éprouver tout ce qui peut indigner une grande âme ou briser un bon cœur. Ses compagnons l’abandonnèrent, ses serviteurs le trahirent ; l’un livra son armée, l’autre son trésor ; ceux qu’il avait élevés, maintenus, comblés, furent ceux qui l’abattirent. Ce Sénat qui l’avait tant loué, ce Sénat qui, la veille encore, lui fournissait à profusion des conscrits pour combattre les ennemis, n’hésite pas le lendemain à se faire le vil instrument de ces mêmes ennemis ; et, sous l’impulsion de leurs baïonnettes, il reproche, il impute à crime ce qui fut son propre ouvrage ; il brise lâchement lui-même l’idole que lui-même a créée, et qu’il a si longtemps, si servilement encensée ! Quel excès de honte ! quelle ignoble dégradation !… Enfin, et ce dernier coup doit être le plus sensible à Napoléon, sa femme et son fils sont détournés de lui ; on s’en empare ; et, en dépit des traités et des lois, en opposition à toute morale, il ne les reverra plus !