Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obstacles que lui opposait son rang, conçut la pensée d’épouser l’amie de madame de Staël, et le confia à celle-ci, dont l’imagination poétique saisit avidement un projet qui pouvait répandre sur Coppet un éclat romanesque. Bien que le prince fût rappelé à Berlin, l’absence n’altéra point ses sentiments, il n’en poursuivait pas moins avec ardeur son projet favori ; mais, soit préjugé catholique contre le divorce, soit générosité naturelle, madame Récamier se refusa constamment à cette élévation inattendue.

C’est à cette circonstance, du reste, qu’on doit le tableau de Corinne, qui passe pour une des créations les plus originales du pinceau de Gérard, le prince le lui ayant commandé pour en faire hommage à celle qui avait si profondément occupé ses pensées.

Mais, puisque je suis revenu à madame de Staël, je dirai que la publication des volumes précédents m’ayant valu la visite et les observations de quelques personnes qui lui sont fort attachées, de ses plus intimes m’ont assuré qu’on lui avait prêté des expressions contre Napoléon qui lui étaient absolument étrangères, spécialement celle de Robespierre à cheval, qu’elles pouvaient désavouer pour elle en toute sûreté de conscience, disaient-elles ; bien plus, elles ajoutaient que madame de Staël se montrait parfois, dans la conversation privée, bien plus favorable que ne le témoignaient ses écrits, toujours aiguillonnés, il fallait en convenir, par les ressentiments et le dépit. L’une de ces personnes me disait qu’il avait été vraiment précieux pour elle de lire dans le Mémorial que Napoléon, à Sainte-Hélène, avait comparé madame de Staël tout à la fois à Armide et à Clorinde, parce qu’elle avait entendu madame de Staël, au temps de son enthousiasme, comparer de son côté le jeune général de l’armée d’Italie tout à la fois à Scipion et à Tancrède, alliant, disait-elle, les vertus simples de l’un aux faits brillants de l’autre.

Après dîner, l’Empereur ayant fait venir Racine, son favori, il nous a lu les plus beaux morceaux d’Iphigénie, de Mithridate et de Bajazet. « Bien que Racine ait accompli des chefs-d’œuvre en eux-mêmes, a-t-il dit en finissant, il y a répandu néanmoins une perpétuelle fadeur, un éternel amour, et son ton doucereux, son fastidieux entourage ; mais ce n’était pas précisément sa faute, ajoutait-il, c’étaient le vice et les mœurs du temps. L’amour alors, et, plus tard encore, était toute l’affaire de la vie de chacun. C’est toujours le lot des sociétés oisives, observait-il. Pour nous, nous en avons été brutalement détournés par la révolution et ses grandes affaires. Chemin faisant, il avait condamné aussi tout le fameux plan de campagne de Mithridate. « Il