Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/458

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deviner ni le sens ni le but, qui ne peut présenter rien d’utile ni faire augurer rien de bon. Serait-elle dirigée contre les Turcs ? Mais ce serait alors aux Anglais à s’y opposer. Serait-ce pour maintenir, en effet, une paix générale ? Mais c’est une chimère dont ne sauraient être dupes des cabinets diplomatiques. Il ne saurait y avoir des alliances que par opposition et comme contrepoids. On ne saurait être alliés entre tous ; alors ce n’est plus rien. Je ne la comprendrais que comme alliance des rois contre les peuples ; mais alors qu’a à faire lord Castlereagh là-dedans ? S’il en était ainsi, ne pourrait-il pas, ne devrait-il pas le payer cher un jour ?…

« J’ai eu ce lord Castlereagh en mon pouvoir, a dit l’Empereur ; il était occupé à intriguer à Châtillon, lorsque, dans un de nos succès momentanés, mes troupes dépassèrent le congrès qui se trouva enveloppé. Le premier ministre anglais se trouvait sans caractère public, et demeurait en dehors du droit des gens : il le sentit, et se montrait dans la plus affreuse anxiété de se trouver ainsi entre mes mains. Je lui fis dire de se tranquilliser, qu’il était libre : je le fis pour moi, non pour lui ; car, certes, je n’en attendais rien de bon. Cependant, à quelque temps de là, sa reconnaissance se manifesta d’une manière toute particulière ; quand il me vit choisir l’île d’Elbe, il me fit proposer l’Angleterre pour asile, et employa alors son éloquence, sa subtilité pour m’y déterminer ; mais aujourd’hui les offres d’un Castlereagh ont le droit de m’être suspectes ; et nul doute qu’il ne méditât déjà en cela l’horrible traitement qu’on exerce en cet instant sur ma personne !

« C’est un grand malheur pour le peuple anglais que son ministre dirigeant ait été traiter lui-même en personne avec les souverains du continent ; c’est une violation de l’esprit de sa constitution. L’orgueil anglais n’a aperçu alors que son représentant allant dicter des lois ; mais il a de quoi se repentir, aujourd’hui que l’évènement lui prouve qu’il n’est allé stipuler, au contraire, que des embarras, de la déconsidération, des pertes.

« Il est de fait certain que lord Castlereagh eût pu tout obtenir ; mais soit aveuglement, soit incapacité, soit perfidie, il a tout sacrifié. Assis au banquet des rois, il semble avoir rougi de dicter la paix en marchand, et s’est avisé de la traiter en monsieur. Son orgueil y a gagné, et il est à croire que ses intérêts n’y ont pas perdu : son pays seul en a souffert et en souffrira beaucoup et longtemps.

« Et les rois du continent aussi ont à expier peut-être la faute d’avoir