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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/465

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ment bientôt je n’aurai plus à l’entendre. Je vais remplir ce vide et celui du jour suivant en insérant ici bien des objets que je trouve indiqués par des notes éparses sur la couverture même de mon Journal ; car d’habitude j’y inscrivais de la sorte ce que je m’apercevais avoir oublié de mettre en son lieu, comme aussi d’anciens souvenirs quand ils me revenaient, ou bien encore des points délicats que la prudence et la circonspection commandaient à notre état de captivité ; enfin on trouvera ici même des choses apprises plus tard, mais de sources incontestables.

Beaucoup de ces articles n’ont point de liaisons entre eux ; toutefois ils concourent tous au but constant de ce recueil, soit qu’ils démentent les couleurs mensongères sous lesquelles, dans le temps, on nous peignait Napoléon, soit qu’ils fassent ressortir, au contraire, les véritables nuances de son caractère. Puisse la lecture du Mémorial porter ceux qui l’ont approché à consacrer de leur côté ce qu’ils en savent ou ce qu’ils en ont entendu de lui-même !

– Il n’était jadis bruit que de la grande brutalité et de l’extrême violence de l’Empereur envers son entourage : or, il est reconnu à présent que tout ce qui le servait, dans son plus petit intérieur, l’adorait précisément à cause de sa bonté et de l’excellence de son cœur. Quant à son atmosphère extérieure, je tiens, depuis mon retour en Europe, de quelqu’un du plus haut rang, dont le nom seul suffirait pour commander la croyance par la considération dont il jouit, et que ses fonctions attachaient constamment à la personne de l’Empereur, soit dans ses expéditions de guerre, soit dans le séjour de ses palais, qu’il ne l’a jamais vu qu’une seule fois s’emporter au point de frapper, et c’était un de ses palefreniers qui, lors de la retraite de Saint-Jean-d’Acre, se refusait à donner son cheval pour le transport des malades, lorsque lui, général en chef, avait livré le sien et forcé tout son état-major à en faire autant. Et encore, me disait-on, il était aisé d’apercevoir dans cet acte bien plus de politique que d’impulsion naturelle, la chose se passant devant des soldats découragés, auxquels il fallait prouver le vif intérêt qu’on leur portait.

– Il était passe en habitude de répéter que Napoléon était le plus désobligeant à sa cour, ainsi que pour ceux de son service ; qu’il n’avait jamais rien de gracieux ou d’aimable à dire à personne. Or, voici ce que, entre autres choses, j’ai moi-même entendu : L’Empereur, à son arrivée de la désastreuse campagne de Leipsick, reçut à une heure inusitée les officiers de sa maison ; il se présenta à nous avec un air de tristesse. Arrivé à M. de Beauveau, qui était à côté de moi, et dont le fils, encore enfant, était parti pour cette campagne dans les gardes