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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/478

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du complot ourdi à Londres, et bientôt après on sut les intrigues de Moreau, la présence de Pichegru à Paris, etc. »

Je passe tous les détails de cette affaire, on peut les voir dans les lettres écrites du Cap, en réfutation de celles du docteur Warden, et dans l’ouvrage de M. O’Méara. Les miens seraient précisément les mêmes que ces derniers ; ils viennent tous de la même source.

Quant à l’inculpation relative, à la mort de Pichegru, qu’on disait avoir été étranglé par les ordres du Premier Consul, Napoléon disait qu’il serait honteux de chercher à s’en défendre, que c’était par trop absurde. « Que pouvais-je y gagner ? faisait-il observer. Un homme de mon caractère n’agit pas sans grands motifs. M’a-t-on jamais vu verser le sang par caprice ? Quelques efforts qu’on ait faits pour noircir ma vie et dénaturer mon caractère, ceux qui me connaissent savent que mon organisation est étrangère au crime ; il n’est point dans toute mon administration un acte privé dont je ne pusse parler devant un tribunal, je ne dis pas sans embarras, mais même avec quelque avantage. Tout bonnement, c’est que Pichegru se vit dans une situation sans ressource ; son âme forte ne put envisager l’infamie du supplice, il désespéra de ma clémence ou la dédaigna, et il se donna la mort. Si j’eusse été porté au crime, continuait-il, ce n’est pas sur Pichegru, qui ne pouvait rien, que j’eusse dû frapper, mais bien sur Moreau, qui, en cet instant, me mettait dans le plus grand péril. Si, par malheur, ce dernier se fût aussi donné la mort dans sa prison, il aurait rendu ma justification bien autrement difficile, par les grands avantages que j’eusse trouvés à m’en défaire. Vous autres, au-dehors, et les royalistes forcenés au-dedans, vous n’ayez jamais connu l’esprit de la France. Pichegru, une fois démasqué comme traître à la nation, n’avait plus l’intérêt de personne ; bien plus, ses seuls rapports avec Moreau suffirent pour perdre celui-ci : une foule de ses partisans l’abandonnèrent ; tant, dans la lutte des partis, la masse s’occupait bien plus de la patrie que des individus. Je jugeai si bien dans cette affaire que quand Réal vint me proposer d’arrêter Moreau, je m’y opposai sans hésiter. Moreau est un homme trop important, lui dis-je ; il m’est trop directement opposé, j’ai un trop grand intérêt à m’en défaire pour m’exposer ainsi aux conjectures de l’opinion. — Mais si Moreau pourtant conspire avec Pichegru ? continuait Réal. — C’est alors bien différent : produisez-en la preuve, montrez-moi que Pichegru est ici, et je signe aussitôt l’arrestation de Moreau. Réal avait des avis indirects de la venue de Pichegru ; mais il n’avait pu joindre encore ses