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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/487

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on crut le moment favorable pour me tenter et l’on renouvela l’offre contre celui (M. le comte d’Artois) que la voix publique, en Angleterre aussi bien qu’en France, mettait à la tête de ces horribles machinations. Je me trouvais à Boulogne, où le porteur de paroles était parvenu ; j’eus la fantaisie de m’assurer par moi-même de la vérité de la contexture de la proposition ; j’ordonnai qu’on le fît paraître devant moi. Eh bien, Monsieur ? lui dis-je en le voyant. – Oui, Premier Consul, nous vous le livrerons pour 1.000.000. – Monsieur, je vous en promets deux, mais si vous l’amenez vivant. – Ah ! c’est ce que je ne saurais garantir, balbutia l’homme, que le ton de ma voix et la nature de mon regard déconcertaient fort en ce moment. – Et me prenez-vous donc pour un pur assassin ! Sachez, Monsieur, que je veux bien infliger un châtiment, frapper un grand exemple, mais que je ne recherche pas un guet-apens. Et je le chassai. Aussi bien c’était déjà une trop grande souillure que sa seule présence. »


Visite clandestine du domestique, qui m’avait été enlevé – Ses offres – Seconde visite – Troisième ; je lui confie mystérieusement ma lettre au prince Lucien : cause de ma déportation.


Du jeudi 21 au dimanche 24.

La veille au soir, j’étais resté auprès de l’Empereur aussi tard qu’une ou deux heures après minuit ; en rentrant chez moi, je trouvai que j’avais eu une petite visite qui s’était lassée de m’attendre.

Cette petite visite reçue par mon fils, et que dans le temps la prudence me commandait d’inscrire dans mon Journal avec déguisement et mystère, peut aujourd’hui et va recevoir en ce moment toute son explication.

Cette visite n’était rien moins que la réapparition clandestine du domestique que sir Hudson Lowe m’avait enlevé, qui, à la faveur de la nuit et de ses habitudes locales, avait franchi tous les obstacles, évité les sentinelles, escaladé quelques ravins, pour venir me voir et me dire que, s’étant mis au service de quelqu’un qui partait sous très peu de jours pour Londres, il venait m’offrir de prendre mes commissions en toutes choses. Il m’avait attendu fort longtemps dans ma chambre, et, ne me voyant pas revenir de chez l’Empereur, il avait pris le parti de retourner, dans la crainte d’être surpris ; mais il promettait de revenir, soit sous le prétexte de voir sa sœur qui était employée dans notre établissement, soit en renouvelant les mêmes moyens qu’il venait d’employer.

Je n’eus rien de plus pressé, le lendemain, que de faire part à l’Empereur de ma bonne fortune. Il s’en montra très satisfait et parut y