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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/491

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l’occasion. Nous étions trois en ce moment auprès de l’Empereur ; il m’a donné une de ces oranges à mettre dans ma poche pour mon fils, et s’est mis à couper et à préparer lui-même les autres par tranches ; et, assis sur le tronc d’un arbre, il les mangeait et en distribuait gaiement et familièrement à chacun de nous. Je rêvais précisément, par un instinct fatal, au charme de ce moment ! Que j’étais loin, hélas ! d’imaginer que ce devait être le dernier don que je pourrais tenir de sa main !…

L’Empereur s’est mis ensuite à faire quelques tours de jardin ; le vent était devenu froid. Il est rentré, et je l’ai suivi seul dans le salon et la salle de billard qu’il parcourait dans leur étendue. Il me parlait de nouveau de sa journée, me questionnait sur la mienne ; puis, la conversation s’étant fixée sur son mariage, il s’étendait sur les fêtes qui avaient amené le terrible accident de celle de M. de Schwartzemberg, dont je me promettais intérieurement de faire un article intéressant dans mon Journal, quand l’Empereur s’est interrompu tout à coup pour examiner, par la croisée, un groupe considérable d’officiers anglais qui débouchaient vers nous par la porte de notre enclos : c’était le gouverneur, entouré de beaucoup des siens. Or le gouverneur était déjà venu le matin, a fait observer le grand maréchal qui entrait en ce moment ; il l’avait eu chez lui assez longtemps. De plus, a-t-il ajouté, on parlait d’un certain mouvement de troupes. Ces circonstances ont paru singulières.