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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/493

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chambre, toute observation devint inutile, il fallut céder à la force ; je fus emmené sous une nombreuse escorte. L’Empereur a écrit depuis, ainsi qu’on le verra plus bas, qu’en me voyant de sa fenêtre entraîné dans la plaine au milieu de ces gens armés, l’alacrité de ce nombreux état-major caracolant autour de moi, la vive ondulation de leurs grands panaches, lui avaient donné l’idée de la joie féroce des sauvages de la mer du Sud, dansant autour du prisonnier qu’ils vont dévorer.

J’avais été séparé de mon fils, qu’on avait retenu prisonnier dans ma chambre, et qui me rejoignit peu de temps après, aussi sous escorte ; si bien qu’à dater de cet instant comptent pour nous l’interruption soudaine et le terme final de toute communication avec Longwood. On nous enferma tous les deux dans une misérable cahute voisine de l’ancienne habitation de la famille Bertrand. Il me fallut coucher sur un mauvais grabat, mon malheureux fils à mes côtés, sous peine de le laisser étendu par terre. Je le croyais en cet instant en danger de mort ; il était menacé d’un anévrisme, et avait failli, peu de jours auparavant, expirer dans mes bras. On nous tint jusqu’à onze heures sans manger ; et quand, cherchant à pourvoir aux besoins de mon fils, je voulus ; demander un morceau de pain aux gens qui nous entouraient, à la porte et à chaque fenêtre où je me présentai, il me fut répondu tout d’abord par autant de baïonnettes.


Visite officielle de mes papiers, etc..


Mardi 25 au mercredi 26.

Quelle nuit que la première nuit que l’on passe emprisonné entre quatre murailles !… Quelles pensées ! quelles réflexions !… Toutefois ma dernière idée du soir, la première de mon réveil, avaient été que j’étais encore à quelques minutes de distance seulement de Longwood, et que pourtant peut-être l’éternité m’en séparait déjà !…

Dans la matinée, le grand maréchal, accompagné d’un officier, a passé à vue de ma cahute et à portée de la voix. J’ai pu lui demander de mon donjon comment se portait l’Empereur. Le grand maréchal se rendait à Plantation-House, chez le gouverneur ; c’était indubitablement à mon sujet. Mais de quoi pouvait-il être chargé ? quels étaient les pensées, les désirs de l’Empereur à cet égard ? C’est là ce qui m’occupait tout à fait. Le grand maréchal, en repassant, m’a fait, avec tristesse, un geste qui m’a donné l’idée d’un adieu et m’a serré le cœur.

Dans la matinée encore, le général Gourgaud et M. de Montholon sont venus jusqu’à l’ancienne demeure de madame Bertrand, en face de