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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/553

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entre les deux croisées. La bibliothèque, qui était vieille, était fermée par des rideaux verts. On l’avait placée à gauche de la porte qui conduit dans la salle voisine ; en avant de la porte de derrière, il y avait un paravent de nankin, un vieux sofa couvert de toile de coton ; Napoléon s’y couchait fréquemment. Son vêtement du matin était alors une robe de chambre et un pantalon à pieds d’étoffe blanche ; il était coiffé d’un madras rouge bariolé ; le col de sa chemise était ouvert ; il ne mettait pas de cravate le matin pendant les chaleurs ; Je le trouvai couché et habillé ainsi un matin : il était étendu sur le sofa. Je pus facilement remarquer que sa physionomie était mélancolique et même affectée. Le chagrin y était visible.

Une petite table ronde était placée devant lui avec quelques livres ; et au pied de cette table, plusieurs volumes qu’il avait déjà parcourus. Au pied du sofa et sous ses yeux, était attaché un portrait de Marie-Louise tenant son fils dans ses bras. M. de Las Cases, devant la cheminée, les bras croisés sur sa poitrine, tenait à la main quelques papiers ; il attendait quelques observations de l’Empereur. Il ne restait plus rien qui rappelât ici l’ancienne opulence du vainqueur de l’Europe qu’un beau lavabo, avec une cuvette en argent et un pot à eau également d’argent : ce meuble était dans l’encoignure à gauche.

L’Empereur, après diverses questions de peu d’intérêt, faites alternativement en français et en italien, me dit : « Vous le savez, j’ai désiré que vous fussiez attaché à mon service. Maintenant, dites-moi, monsieur, avec la généreuse franchise que j’attends de vous, comment comptez-vous remplir votre emploi ? Est-ce celui de mon chirurgien, l’emploi de M. Maingaud, ou bien êtes-vous ici comme un chirurgien de la cale d’un vaisseau au milieu de prisonniers ? Avez-vous ordre de faire des rapports au gouverneur sur ce qui se passe près de moi, de lui rendre compte de mes indispositions, et de lui répéter ce que je vous dis ? Répondez-moi franchement. En quelle qualité êtes-vous auprès de moi ? » Voici ma réponse : « En qualité de votre chirurgien et des personnes qui vous suivent ; les ordres que j’ai acceptés se bornent à prévenir sur-le-champ l’autorité de cette île, si vous tombiez gravement malade. » Il ajouta : « Si vous étiez auprès de moi comme le chirurgien d’une prison, et que vous eussiez à rendre compte de ce « que je dis et de ce que je fais au gouverneur, que je regarde comme un capo de spioni, je vous éloignerais. Ne pensez pas, monsieur, que je vous prenne pour suspect, je ne vous ai jamais pris en faute ; je vous aime et j’estime votre caractère ; je ne pouvais vous en donner