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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/556

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pereur par Thomas Reade, qui a témoigné d’avance son désir de ne blesser en rien Napoléon par cette communication. Nous convînmes qu’il lui parlerait en italien. Nous nous rendîmes ensuite auprès de lui ; je l’avais prévenu. Il était dans le jardin. Je me retirai après la présentation du colonel. M. de Las Cases resta, et traduisit verbalement la communication à mesure que Reade la lisait. Celui-ci me dit, à son retour, que Napoléon l’avait fort bien accueilli ; qu’il avait ri en parlant. C’est alors que Reade me lut la dépêche conçue dans ces termes : « Que les Français qui désiraient rester avec le général Bonaparte devraient signer la formule qui leur serait présentée, et se soumettre, sans aucune observation particulière, à quelque restriction que l’on pût imposer au général Bonaparte. En cas de refus, ils devaient être embarqués pour le cap de Bonne-Espérance. La maison devant être diminuée de quatre personnes, celles qui resteraient seraient assujetties aux lois communes aux sujets britanniques, et rendues surtout pour ceux qui avaient été commis à la sûreté du général Bonaparte, déclarant crime de félonie toute complicité qui aurait pour but de l’aider à s’évader, etc., etc. » Ceux qui signeraient conservaient la faculté d’annuler le présent engagement. La pièce qu’il me montra déclarait en outre que les 4.400 livres sterling prêtées pour les différents ouvrages adressés d’Angleterre à Napoléon seraient acquittées sans délai. Pour cela, le comte Bertrand devait se rendre le lendemain à Plantation-House.

Je me suis promené le lendemain dans le parc ; j’ai été appelé en y entrant. J’ai reconnu la voix de Napoléon. Il m’a fait signe de la main de venir à lui. Il m’a dit : « Eh bene, bugiardo sempre questo governatore. Eh bien ! ce qu’il avait à me dire, à moi, pouvait être dit à tout autre. En demandant une entrevue, il espérait m’enfoncer le stylet dans le cœur, et il n’a pu se refuser le plaisir d’en jouir lui-même. »

Je dis à Napoléon que si les pourparlers avec le gouverneur étaient modérés, je pensais que les quatre personnes éloignées par la dépêche seraient prises parmi les domestiques. Voici sa réponse : « Voi ragionate come un uomo libero. Nous ne sommes point libres, nous sommes au pouvoir d’un boja, non cè remedio. 11 renverra nos amis l’un après l’autre ; il vaut autant qu’ils me quittent maintenant. Je n’ai point d’avantage à les garder avec cette certitude. Qu’il place ses factionnaires aux portes, devant les fenêtres, qu’il ne laisse apporter ici que du pain et de l’eau, je m’en inquiète peu, mon esprit reste libre ; je le trouve aussi indépendant que lorsque je commandais ces six cent mille soldats qui étaient les premiers de l’Europe.