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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/567

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Lowe, que j’ai vu, ne veut pas transférer le séjour de Napoléon à Briars ou dans un autre lieu de ce côté, ainsi qu’il le demande, quoique ce dernier reconnaisse que ses indispositions viennent de la force du vent qui bat l’exposition de Longwood.

Huit heures du soir. — Napoléon n’est pas bien ; la partie droite des mâchoires est considérablement tuméfiée.

Le 29, Napoléon se porte mieux. Mon opinion personnelle est que son indisposition n’est point une maladie du climat, qui, sans cela, l’emporterait en quelques jours. Il se traite peu volontiers, n’ayant aucune foi dans la médecine.

J’ai reparlé de la santé de Napoléon au gouverneur. Il m’a répondu que, puisque Bonaparte souhaitait habiter un lieu comme at the Briars[1], il fallait qu’il fit venir quelque portion des sommes immenses qu’il pos sédait en Europe, qu’alors il pourraitse faire bâtir une maison selon ses goûts. L’observation du gouverneur n’était qu’une cruelle ironie.

1er novembre. — Napoléon se porte mieux. Il fait vendre sa vaisselle plate pour pouvoir ajouter quelque supplément à la nourriture de Longwood. Napoléon reste à peu près dans le même état. Il ne prend point l’exercice qui lui est indispensable. Je lui en ai représenté le danger, il est impassible.

Ce jour-là, j’ai pris la liberté de questionner l’Empereur sur les causes qui lui avaient fait protéger les Juifs. Il me répondit : « Il y avait beaucoup de Juifs dans les pays sur lesquels je régnais ; j’espérais, en les rendant libres et en leur donnant les mêmes droits qu’aux catholiques et aux protestants, les éloigner de l’usure et des vices qui les déshonorent. Je pense que j’aurais réussi. Je faisais ce raisonnement, que puisque leurs rabbins leur disent qu’ils ne peuvent exercer l’usure contre la tribu israélite, néanmoins qu’elle est licite et même un devoir envers les autres communions chrétiennes, puisqu’elles les oppriment ; je pouvais affaiblir par des traitements humains leurs dispositions habituelles. Voici quel était mon projet : par exemple, je leur donnais l’égalité civile dont jouissaient mes autres sujets ; je crois qu’ils m’eussent pris alors pour un de leurs bienfaiteurs, pour un Salomon. L’égalité civile concédée leur eût fait regarder les Français comme des frères ; ils n’eussent plus voulu les traiter usurairement, eux ou moi ; c’était là un résultat important. Je ne l’espérais que des années. Je leur faisais payer les taxes que supportaient mes

  1. Ce lieu est situé à deux milles environ de la mer.