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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/590

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Napoléon est malade : il garde la diète et boit de l’eau de poulet. Le jeune Las Cases et Piontowski se sont rendus aujourd’hui à la ville. Ils ont parlé longtemps avec les commissaires russe et français. Dès leur arrivée, sir Thomas Reade donna l’ordre au lieutenant qui les accompagnait de les empêcher de se séparer, de les suivre et d’écouter ce qu’ils disaient. Pendant qu’ils causaient avec Rose Bud (Bouton de Rose, jeune fille nommée ainsi à cause de la fraîcheur de son teint), un des soldats d’ordonnance de Thomas Reade, d’après les ordres de celui-ci, emmena leurs chevaux. Il leur dit que s’ils ne quittaient la ville aussitôt, Reade punirait leur domestique, soldat, lequel s’était enivré. Le jeune Las Cases demanda avec calme l’ordre écrit à ce sujet. Moins maître de lui, Piontowski dit fermement qu’il répondrait à coups de cravache à celui qui essayerait d’emmener les chevaux.

Napoléon, après avoir parlé un instant de sa santé, m’a dit que le gouverneur, pendant que le jeune Las Cases parlait au commissaire russe, rôdait pour les épier autour de la maison où ils étaient. « Je n’ai jamais pensé, poursuivit-il, qu’un lieutenant général, un gouverneur, pût s’abaisser jusqu’à faire le métier de gendarme. Dites-le-lui la première fois que vous le verrez. »

Napoléon se plaignit du vin qu’on lui servait à Longwood, ajoutant que, lorsqu’il était sous-lieutenant d’artillerie, sa table et son vin va laient infiniment mieux.

Napoléon s’est levé à trois heures du matin : après avoir écrit jusqu’à six, il s’est recouché. A cinq heures du soir, le général Bertrand est allé dire au capitaine Poppleton, qu’il a trouvé encore en habit du matin, que Napoléon désirait lui parler. Le capitaine a été introduit dans la salle de billard sans avoir eu le temps de changer de vêtement ; il y a trouvé Napoléon debout, le chapeau sous le bras.

« Monsieur Poppleton, lui dit-il, vous êtes, je crois, le plus ancien capitaine du 53e ? — C’est vrai. — J’estime beaucoup les officiers et les soldats du 53e, ce sont de braves gens qui font leur devoir. On m’a appris que le bruit courait, dans le camp, que je ne voulais pas en recevoir les officiers ; voulez-vous avoir la bonté de leur assurer que ceux qui leur ont rapporté cela ont dit une fausseté ? Je n’ai jamais dit ni pensé rien de pareil : je serai toujours charmé de les voir. On m’a dit aussi que le gouverneur leur avait défendu de me rendre visite. » Le capitaine Poppleton dit qu’il pensait que ce qui lui avait été dit n’était point exact ; que les officiers du 53E seraient vivement flattés de sa bonne opinion sur leur compte ; qu’ils avaient tous pour lui un