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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/6

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pereur a parlé à l’officier et aux gens qui la terminaient en cet instant, et a commandé de faire donner un napoléon à chacun des matelots.

Aujourd’hui nous avons appris que le dernier bâtiment avait apporté, à l’adresse de l’Empereur, un ouvrage sur les affaires du temps, par un membre du parlement, nous a-t-on dit. Il était envoyé par l’auteur même, et sur la reliure était en lettres d’or : À Napoléon-le-Grand. Cette circonstance a porté le gouverneur à retenir l’ouvrage, sévérité qui, de sa part, contraste étrangement avec son empressement à nous avoir prêté des libelles qui s’expriment si inconvenablement sur l’Empereur.

Pendant le dîner, l’Empereur, fixant d’un œil sévère un de ses gens, a dit, au grand étonnement de nous tous : « Comment, brigand ! tu voulais tuer le gouverneur !… Misérable !… qu’il te revienne de pareilles idées, et tu auras affaire à moi ; tu verras comme je te traiterai. » Et, s’adressant à nous, il a dit : « Messieurs, voilà Santini qui voulait tuer le gouverneur. Ce drôle allait nous faire là une belle affaire ! Il m’a fallu toute mon autorité, toute ma colère pour le retenir. »

Pour l’intelligence de ceci, je dois dire que Santini, jadis huissier du cabinet de l’Empereur, et que son extrême dévouement avait porté à suivre son maître pour le servir, disait-il, sous quelque titre que l’on voulût, était un Corse qui sentait profondément et s’exaltait avec facilité. Exaspéré au dernier point par tous les mauvais traitements du gouverneur, ne pouvant tenir aux outrages qu’il voyait prodiguer à l’Empereur, aigri de voir sa santé en dépérir, gagné lui-même par une mélancolie noire, il avait cessé depuis quelque temps tout service de l’intérieur ; et, sous prétexte de procurer quelques oiseaux pour le déjeuner de l’Empereur, il semblait ne plus s’occuper que de chasser dans le voisinage. Dans un moment d’abandon, il confia à Cypriani, son compatriote, qu’il avait le projet, à l’aide de son fusil à deux coups, de tuer le gouverneur et de s’expédier ensuite lui-même ; le tout, disait-il, pour délivrer la terre d’un monstre.

Cypriani, qui connaissait le caractère de son compatriote, effrayé de sa résolution, en fit part à plusieurs autres du service, et tous se réunirent pour prêcher Santini ; mais leur éloquence, loin de l’adoucir, ne semblait que l’irriter. Ils prirent alors le parti de tout découvrir à l’Empereur, qui le manda sur-le-champ en sa présence : « Et ce n’est, me disait-il plus tard, que par autorité impériale, pontificale, que j’ai pu venir à bout de terrasser la résolution de ce gaillard-là. Voyez un peu l’esclandre qu’il allait causer ! J’aurais donc encore