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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/602

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lation des Français. J’avancerais, comme je le faisais en France, tout soldat qui se serait fait remarquer par une action d’éclat. J’assemblais alors officiers et soldats, et je demandais : Quels sont ceux qui se sont distingués ? Quels sont les braves ? Je mettrais dans les grades vacants ceux qui sauraient lire et écrire ; je dirais à ceux qui ne le sauraient pas d’étudier jusqu’à ce qu’ils fussent suffisamment instruits, et qu’alors je les ferais également monter en grade. Que ne pourrait-on pas attendre de l’armée anglaise, si chaque soldat espérait devenir général en se comportant bravement ! Bingham dit cependant que la plus grande partie de vos soldats sont des brutes, et qu’il faut les conduire à coups de bâton. Cependant nombre de vos soldats doivent avoir les sentiments assez élevés pour vouloir se placer au rang des militaires qui se sentent la dignité de l’homme. Abolissez vite ce qui dégrade vos jeunes concitoyens. Bingham m’a dit qu’il n’y a que la canaille qui s’enrôle ; c’est cette position avilissante du soldat qui en est la cause. Je la ferais cesser si j’étais le premier de vos ministres ; je voudrais que le titre de soldat anglais fût véritablement honorable. Je voudrais faire ce que j’ai fait en France : j’encouragerais les jeunes gens bien élevés, les fils de marchands, les nobles mêmes, toutes les classes, à me fournir des soldats, de simples soldats que j’avancerais ensuite suivant leur mérite ; je remplacerais le fouet par la prison, le pain et l’eau, par le mépris du régiment. Quando il soldato è avvilito e disonorato colle fruste, poco gli preme la gloria e l’onore d’ella sua patria[1].

« Peut-il rester à un soldat fustigé en présence de ses camarades jusqu’à l’ombre de sa dignité ? Il perd l’amour de sa patrie ; plus tard il se battrait contre elle, s’il était mieux payé !  !… Lorsque les Autrichiens possédaient l’Italie, ils cherchaient inutilement à faire des soldats des Italiens : ceux-ci désertaient dès qu’ils étaient réunis ; ou bien, lorsqu’ils étaient obligés de se battre, ils lâchaient pied et fuyaient au premier moment du feu. Il était impossible de retenir un seul régiment. Lorsque j’eus conquis l’Italie, et que je commençai à faire des levées, les Autrichiens se moquèrent de moi, et disaient que cela ne me réussirait pas ; qu’ils avaient essayé bien des fois à le faire, et qu’il n’était pas dans le caractère des Italiens de se battre et de former de bons soldats. Malgré ces objections j’enrôlai plusieurs milliers d’Italiens, qui se battirent comme les Français, et ne m’aban-

  1. Quand un soldat a été flétri par des coups de fouet, l’honneur de sa patrie l’intéresse fort peu.