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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/636

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« On était à l’approche de Noël, de belles fêtes se préparaient. Ce jour-là on me pressa d aller il l’Opéra, mais, épuisé par le travail de la journée, je cédai à un accès de sommeil, et restai sur un sofa ; Joséphine vint m’éveiller, et insista pour que je me montrasse au théâtre, car elle était avide de popularité pour son époux ; je me levai et montai en voiture, et tombai aussitôt dans un nouvel assoupissement : l’explosion m’en tira. La commotion que je sentis fut celle qu’eût produit le soulèvement de la voiture pour la lancer dans un courant très-rapide ; j’étais accompagné de Lannes et de Bessières. Les conjurés avaient fait faire une charrette comme celles dont on se sert pour porter de l’eau dans Paris, avec cette différence que le tonneau était placé en travers. Un de ces conjurés, le nommé Limoléan. remplit le tonneau de poudre, et le plaça au détour d’une rue que je devais traverser. Je dus mon salut à cette circonstance, que la voiture de Joséphine étant semblable à la mienne, et l’une et l’autre se trouvant escortées de quinze hommes, Limoléan ne put savoir d’avance dans laquelle je me trouvais ; incertain, il s’avança pour regarder dans nos voitures, afin de s’assurer de ma présence. Un de mes gardes, gaillard grand et fort, choqué ou inquiet de voir cet homme barrer le passage, et chercher ainsi à me voir dans la voiture, poussa son cheval sur lui, et lui donna un coup de sa botte, qui le renversa. Pendant ce temps la voiture passa. Limoléan relevé, et qui m’avait aperçu, courut à la charrette et y mit le feu : l’explosion eut lieu entre les deux voitures ; la détonation fut effroyable, elle tua le cheval d’un de mes guides, blessa le cavalier, démolit plusieurs maisons, et tua environ cinquante personnes.

« On se mit sur la trace des coupables. La police fit alors rassembler les débris de la charrette ; tous les ouvriers de Paris furent appelés pour les reconnaître : les renseignements qu’on recueillit, après cet examen, ne furent qu’insignifiants ; on sut pourtant que les matériaux de cette charrette avaient été achetés par deux hommes ayant l’accent bas breton ; ce fut, dans le premier moment, tout ce qu’on put apprendre.

On a dit alors que j’avais été sauvé par mon cocher, ce fait n’est pas tout à fait exact, puisqu’il était gris. C’est le guide qui m’a sauvé. Je ne dis pas que mon cocher ne m’ait grandement servi : son élan eut là une rapidité extraordinaire. Mais remarquez son peu de présence d’esprit dans cette scène, puisqu’il prit celle détonation épouvantable pour une décharge faite sur mon passage, en mon honneur ; je vous l’ai dit, Paris allait entrer dans des fêtes.