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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/662

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l’intégrité, la générosité, le vieil honneur personnifiés. Je n’ai jamais oublié ce qu’il disait un jour : Il y a de certaines qualités qu’on peut acheter ; mais un bon caractère, la sincérité, le calme à l’heure du danger, ne peuvent pas s’acheter. Je lui donnai le commandement momentané d’un régiment de cavalerie à Amiens : il le faisait manœuvrer. Les officiers de ce régiment l’aimaient infiniment.

« Ce n’est peut-être pas avec tous ses mérites un homme de premier talent. Il n’a pas manqué à sa parole à Amiens ; le traité était prêt, et il devait le signer à neuf heures à l’hôtel de ville. Il arriva quelque chose qui l’empêcha de le faire, mais il fit dire aux ministres français qu’ils pouvaient considérer le traité comme signé par lui, et qu’il le signerait le jour suivant. Un courrier d’Angleterre vint le soir, avec ordre de ne pas acquiescer à certains articles, et de différer la signature du traité. Quoique Cornwallis eût pu se prévaloir de cet ordre, il dit qu’il considérait sa promesse comme sa signature, il écrivit à son gouvernement qu’il avait promis, et qu’ayant donné sa parole, il voulait la tenir ; que s’il n’était pas content, il pouvait refuser de ratifier le traité.

« Il aurait fallu envoyer un Cornwallis ici, au lieu de ce misérable assemblage de fausseté, de bassesse, et de poltronnerie ! Sa mort m’affligea. Quelques personnes de sa famille m’écrivirent, dans diverses occasions, pour demander des grâces pour quelques prisonniers, et je les leur ai toujours accordées.

« Je n’ai songé à prendre le parti de me livrer aux Anglais que parce que je me souvins que dans les dernières négociations de 1814 à Paris, Castlereagh dit à Caulaincourt : « Mais pourquoi Napoléon ne va-t-il pas à Londres ? Il y serait reçu avec une grande considération. Je ne lui conseille pas pourtant d’en faire l’objet d’une demande officielle, parce que les moments sont pressés, mais qu’il passe la mer et vienne tout simplement demander notre hospitalité. »

L’Empereur m’a parlé aujourd’hui du ministre prussien, baron de Stein. « C’est un bon Allemand, patriote ; il a des talents, l’activité, l’esprit propre aux affaires, aux intrigues. Il ne m’a point fait le mal que vous supposez, parce que son impatience paralysait sa haine. Il poussait la Prusse à des résolutions extrêmes contre moi, ce qui l’eût perdue si la prudence du roi ne l’eût pas contenu. Je fus cause du renvoi de Stein de la cour de Prusse, mais il eût été très-heureux pour moi que l’on eût suivi ses avis ; car si la Prusse se fût déclarée prématurément, je l’aurais écrasée. J’aurais pu, sous le plus léger prétexte,