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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/666

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couverte. Il me raconta que Moreau, près duquel il servait alors, avait trouvé dans les bagages du général autrichien Klingen une correspondance dans laquelle Pichegru détaillait à ce dernier ses plans pour renverser le Directoire. Il lui expliquait les fausses manœuvres qu’il ferait devant lui, et lui indiquait les moyens de détruire en détail l’armée républicaine. — C’est une horreur ! m’écriai-je. Mais pour quoi Moreau n’a-t-il pas envoyé ces pièces au Directoire ? — Moreau, continua Desaix, me supplia de garder le silence ; il ne voulait pas perdre un vieux camarade. Mais lorsque les intrigues de Pichegru furent découvertes, Moreau le dénonça à l’armée comme un traître, et envoya au Directoire les papiers qu’il avait dans ses mains depuis plusieurs mois. — Ainsi, il avait souffert que Pichegru fût choisi pour président du Corps législatif, quoiqu’il conspirât contre le gouvernement. On accusa avec raison Moreau d’une double trahison. — Tu as, disait-on, trahi ton pays, en cachant la trahison de Pichegru, et tu as inutilement trahi ton ami en dévoilant ce que tu devais faire connaître plus tôt. Puisque tu avais tenu secret ce qui a été découvert par d’autres moyens, tu aurais dû garder un éternel silence. »

L’Empereur a parlé ensuite de la retraite de Moreau en Allemagne. « Cette retraite, selon moi, était une faute. Je crois que si, au lieu de se retirer, il eût tourné l’ennemi et marché sur les derrières du corps du prince Charles, qu’il aurait écrasé, il eût pu prendre l’armée autrichienne.

« Le Directoire me portait envie ; il avait besoin de diminuer la gloire militaire que j’avais acquise. Ne pouvant accréditer Moreau par une victoire, il le vanta pour sa retraite, et le loua officiellement en termes pompeux ; les généraux autrichiens prouvaient alors, par les meilleures raisons, que cette retraite était une faute. Pichegru avait, à un degré plus remarquable, les talents du général. »

Napoléon est revenu sur le compte de Pichegru. Il a répondu à quelques objections que je lui ai faites, pour repousser l’idée que les ministres anglais aient voulu le faire assassiner. « Je ne dis pas qu’ils aient positivement donné cet ordre à Georges ou à Pichegru, mais ils savaient bien que l’assassinat ferait seul le succès de leur entreprise contre la France. Dans ce but, ils ont fourni de l’argent et équipé des bâtiments pour les débarquer en France ; ce qui, de toutes les façons, les rendait leurs complices.

« Pitt n’avait pas besoin de se débarrasser de Napoléon Bonaparte,