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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/677

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cette double faute. La Prusse refuse vos marchandises. Que pouvez-vous faire ? Vous ne pouvez ni essayer d’intimider cette puissance, ni en venir à une guerre ouverte, attendu qu’elle tomberait sur lord Wellington et ses quarante mille hommes. Vous ne serez point indépendants, tant que vous laisserez vos régiments sur le continent. Après vos succès, il fallait retirer vos troupes ; vous ne vous fussiez pas attiré la haine et la jalousie des autres puissances ; l’Europe ne vous fermait pas ses ports, ou vous lui disiez : « Je bloquerai les ports si vous ne permettez pas l’entrée de mes marchandises, aucune autre n’y entrera ni n’en sortira. » Ils vous auraient cédé ; vous avez maintenant les mains liées. En vous mêlant des affaires du continent et en essayant de vous faire grande puissance militaire, vous vous êtes affaiblis.

« Vous êtes une nation de marchands ; vos grandes richesses viennent du commerce, l’Angleterre n’est pas autre chose. Ce n’est ni dans I’étendue de son territoire, ni dans sa nombreuse population, ni par ses mines d’or, d’argent ou de diamants, que la Grande-Bretagne peut alimenter sa prospérité. Je vous ai appelé nations de boutiquiers, mais nul homme de sens ne doit rougir de cette qualification ; pourtant votre prince et vos ministres paraissent vouloir changer aujourd’hui l’esprit des Anglais, et faire de vous une autre nation : ils prétendent vous faire honte de vos boutiques et de votre commerce, qui vous ont fait ce que vous êtes. Ils ne s’occupent plus que de noblesse, de titres, de décorations : ils n’ont de but que celui-là ; avec ces cordons, ces croix, que l’on répand à pleines mains, on essaye de vous transformer en nation de nobles, au lieu de vous laisser les Anglais d’autrefois. Rougissez-vous d’être vous-mêmes et voulez-vous devenir une nation de nobles et de gentlemen ? Tout cela pouvait aller avec moi en France, parce que cela s’accordait avec l’esprit de la nation ; mais cela est « contraire à l’esprit et à l’intérêt de l’Angleterre. Attachez-vous à vos bâtiments, à votre commerce et à vos comptoirs, et laissez les cordons, les croix et les uniformes brillants au continent. C’est là le moyen de prospérer. Lord Castlereagh a rougi de ce que l’on vous appelait une nation de marchands, et il disait souvent, lorsqu’il était en France, que c’était une fausse idée que de supposer que l’Angleterre tenait tout de son commerce, et lui devait ses richesses ; il ajoutait même que le commerce ne lui était nullement nécessaire. Je haussai les épaules quand on me rapporta ces paroles. Il a trahi son pays lors du traité de paix. Je ne veux pas dire (en posant la main sur son cœur) que la trahison soit venue d’ici ; mais il l’a trahi en négligeant ses vieux