Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/683

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et aux emplois publics tous ceux qui auraient eu des talents et du mé rite, sans distinction de naissance. Les hommes qui gouvernaient en Espagne avaient trop peu de capacité pour que ce pays me fût en rien utile. Avec un gouvernement vigoureux, on aurait pu faire usage des grandes ressources que présentent ses belles provinces, et on aurait pu s’en servir surtout si avantageusement contre l’Angleterre ; je l’aurais forcée de ce côté à signer la paix, et la paix conformément aux droits maritimes et généraux. Sans doute je désirais détrôner les Bourbons, à qui je supposais naturellement d’assez malveillantes intentions. Je n’ai jamais cru nécessaire d’y placer mon frère, mais un partisan de ma cause. Ce qui était pressant pour moi était d’écarter les Bourbons du gouvernement. »

Napoléon, dans une autre partie de cette conversation, a reparlé de Fox. « Il était sincère, m’a-t-il dit, il avait de la droiture, et voyait juste ; s’il ne fût pas mort, la paix se serait faite, et l’Angleterre serait florissante. Fox avait une connaissance parfaite des intérêts anglais. Il fut reçu comme un grand homme et un ami de l’humanité dans toutes les villes de France où il passa. On lui offrit des fêtes et on lui rendit des honneurs. Cet homme d’État aurait réconcilié les deux pays. »

Napoléon m’a raconté quelques actes de la carrière du vieux général Wurmser : « Quand je faisais assiéger Mantoue, peu de temps avant sa reddition, un Allemand fut saisi au moment où il pénétrait dans la place. Pris pour un espion, on le fouilla ; on ne trouva rien. On le menaça : alors un Français qui parlait un peu allemand survint. Informé du fait, il dit au prisonnier qu’il allait le tuer, s’il ne disait pas sur-le-champ ce qu’il venait faire dans la place, tira son sabre et lui en porta la pointe au corps. Le pauvre diable, effrayé, dit qu’il avait avalé ses dépêches pour Wurmser, et qu’en attendant quelques heures on pourrait les connaître. Lorsqu’il me fut amené, je le fis enfermer dans une chambre avec deux officiers d’état-major. En effet, quelques heures après, on retrouva une lettre de la main de l’empereur François à Wurmser. Il lui disait de tenir quelques jours de plus, et qu’alors il serait secouru par une forte colonne qui venait dans une direction qu’il mentionnait, sous les ordres d’Alvinzi. Éclairé par ce renseignement, je partis avec la plus grande partie de mon armée, je marchai sur la route indiquée ; je rencontrai en effet Alvinzi au passage du Pô, je le battis complétement et revins à mon siége. C’est alors que le vieux maréchal me fit proposer à certaines conditions la reddition de la forteresse. Il ajoutait que sa garnison avait