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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/761

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mes cinq ponts protégés par mes batteries, sans que l’armée ennemie fût en état de s’y opposer ; je réunissais ma première division aux corps de Moncey, Lecchy et Turreau ; je laissais franchir le Pô à un des corps de Mélas (et c’est tout ce qu’il demandait) ; alors, supérieur en nombre, je pouvais l’attaquer avec toutes mes forces. Vainqueur, j’obtenais les mêmes résultats. Son armée, bloquée entre nous et la rivière, était forcée de mettre bas les armes et de rendre tous ses forts. Si j’eusse été battu, ce que je crois impossible, j’engageais une guerre régulière, et j’appelais la Suisse à mon secours.

« Déterminé à livrer bataille, je me fis rendre compte de l’effectif de mon armée. J’avais en tout vingt-six mille hommes ; M. de Mélas en avait quarante, dont dix-huit mille de cavalerie. A deux heures du matin, on vint m’annoncer que l’ennemi était tombé sur notre avant-garde, et que nos troupes cédaient. Le Français n’aime pas à être attaqué ; nos troupes se repliaient un peu en désordre ; l’ennemi nous avait déjà fait quelques prisonniers, et nous avions perdu dans notre retraite une lieue et demie de terrain.

« Les généraux de l’avant-garde, Lannes, Murat et Berthier, m’envoyaient ordonnances sur ordonnances ; ils me disaient que leurs troupes étaient en fuite et qu’ils ne pouvaient les arrêter. Ils me demandaient des renforts et me priaient de me mettre en marche avec ma réserve. Je répondais à tous : « Tenez tant que vous pourrez ; si vous ne le pouvez pas, battez en retraite. » Je voyais que les Autrichiens n’avaient pas employé leur réserve ; et, en pareil cas, le grand « point est de tâcher que l’ennemi emploie toutes ses forces, tout en ménageant les nôtres, et de l’engager à nous attaquer sur les flancs tant qu’il ne s’aperçoit pas de sa méprise ; car la difficulté est de le forcer à employer sa réserve. L’ennemi avait quarante-quatre mille hommes contre vingt mille au plus ; encore ces vingt mille étaient-ils en déroute. Il ne restait donc à Mélas qu’à profiter de son avantage. Je me portai en avant de la première légion dans un uniforme élégant ; j’attaquai moi-même avec une demi-brigade, je fis plier les Autrichiens et rompis leurs rangs ; Mélas, me voyant à la tête de mon armée et ses légions enfoncées, crut que j’étais arrivé avec ma réserve pour contenir les troupes en retraite ; il s’avança avec toute la sienne, qui se composait de six mille grenadiers hongrois, l’élite de son infanterie ; ce corps remplit la trouée que j’avais faite, et nous attaqua à son tour. Je cédai alors ; et pendant une retraite d’une demi-lieue, exposé à leur feu, je ralliai toute l’armée et la reformai en bataille.