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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/786

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» Je l’avais pris pour aide de camp au commencement de la campagne d’Italie : il rendit dans toutes les affaires des services essentiels ; enfin il mourut glorieusement sur le champ de bataille, à Arcole, laissant une jeune veuve enceinte de huit mois.

« Je demandai, en considération des services qu’il avait rendus, que sa belle-mère fût rayée de la liste des émigrés sur laquelle elle avait été inscrite, quoiqu’elle ne fût jamais sortie de France. Je réclamai la même justice pour son beau-frère, jeune homme qui avait quatorze ans lorsqu’il fut inscrit sur la liste fatale : il était en pays étranger pour son éducation. »

Des hommes qui avaient concouru à ses victoires, l’Empereur passa aux combinaisons qui les avaient décidées. C’était une suite de conceptions, de manœuvres décisives, telles que n’en présente pas l’histoire. — Il avait conquis en trois ans toute la partie septentrionale de l’Italie, soutenu avec trente à quarante mille hommes les plus grands efforts de l’Autriche, et fait dans ces trois années six campagnes.

Les travaux de Longwood avançaient ; nous avions creusé, revêtu le bassin, et disposé une partie de nos tuyaux : il nous en restait encore beaucoup à placer : nous prenions l’eau à trois mille pieds de distance. Mais le temps était à la pluie, Napoléon, content de ses Chinois, ne voulait pas qu’ils l’essuyassent. « Il est inutile que ces gens se mouillent ; rien ne presse, qu’ils se reposent, nous y reviendrons plus tard.

« J’ai d’ailleurs quelques observations à faire ; venez, suivez-moi, vous les trouverez curieuses. « J’allai : c’étaient des fourmis dont il étudiait les mœurs. Ces insectes, qui se répandaient dans sa chambre à coucher, avaient escaladé sa table où se trouvait habituellement du sucre ; la chaîne avait aussitôt été établie et le sucrier envahi. Napoléon n’avait garde de les troubler. Il déplaçait le sucrier, suivant leurs manœuvres, admirait l’activité qu’elles déployaient jusqu’à ce qu’elles en eussent retrouvé la trace. « Ce n’est pas là de l’instinct ; c’est bien plus, c’est de l’intelligence, l’idéal de l’association civile. Mais ces petits animaux n’ont pas nos passions, notre convoitise ; ils s’aident, et ne se déchirent pas. Croyez-vous que j’ai essayé vainement de les mettre en défaut. J’ai déplacé le vase, je l’ai transporté à toutes les extrémités de la pièce : ils ont employé un, deux, quelquefois trois jours en recherches, mais ils ont toujours fini par le trouver. Si je le fixais au milieu d’une couche d’eau ! Faites-en apporter, docteur, peut-être elle les arrêtera. » Elle ne les arrêta pas : le sucre fut encore pillé ; il remplaça l’eau par du vinaigre : les fourmis ne s’y ha-