Aller au contenu

Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/805

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être excellents, mais qu’il y avait aussi de quoi tuer les hommes les plus forts. L’Empereur se mit à rire. « Je suis sûr, dit-il, qu’une bonne partie de débauche remettrait l’équilibre de ma machine. Mon secret pour me guérir n’a jamais été d’avaler des drogues, mais de rester à la diète un ou deux jours, ou de faire quelque excès en opposition avec mes habitudes. Ainsi, par exemple, si j’étais en repos depuis trop longtemps, je me mettais à faire une grande course à cheval, à chasser un jour entier sans m’arrêter. Si je m’étais trop fatigué, je me tenais en repos pendant vingt-quatre heures ou davantage ; eh bien, je vous réponds que jamais mon système ne m’a manqué. La secousse que je me donnais produisait toujours un bon résultat. J’avais aussi un tempérament comme on en voit peu. Quand il me prenait envie de dormir, je dormais, quelle que fût l’heure et le lieu ; quand il m’arrivait de boire ou de manger trop, mon estomac rejetait le superflu : enfin, ma nature n’était pas celle de tous les hommes. Tout cela est perdu maintenant, je le sens bien. »

Convaincu néanmoins de l’excellence de son système, il s’avisa de mettre la chose à l’essai. Il fit seller son cheval, se mit à galoper dans les vieilles limites de Longwood, et ne fit pas moins de cinq ou six milles : il n’était accompagné que de Noverraz et de son piqueur. Mais ce rude exercice ne lui procura pas le résultat qu’il en attendait : ses sueurs ne coulèrent point, et il se trouva même assez indisposé. Il répéta trois ou quatre fois cette tentative, qui eut toujours les mêmes conséquences. « Je le vois à présent, me dit-il d’un ton affecté, mes forces m’abandonnent, la nature ne répond plus comme auparavant aux sollicitations de ma volonté, les secousses violentes ne conviennent plus à mon corps affaibli ; mais j’arriverai au but que je veux atteindre par un exercice modéré. »

23. — L’Empereur est plongé dans une profonde tristesse ; il est toujours persuadé que l’exercice le sauverait. « Si du moins je pouvais supporter la calèche ; mais les cahots me donnent des nausées et le mouvement du cheval est encore pis. — Sire, la bascule, lui dit le général Montholon, si Votre Majesté en essayait ? — Oui ! la bascule ! peut-être ; je l’éprouverai ; faites-en disposer une. » On la disposa, mais elle ne produisit aucun résultat avantageux ; il y renonça.

24.— L’Empereur est toujours fort triste ; il parle de sa santé, se plaint de faiblesse, d’irritation nerveuse. Je lui demandai son bras, il me le tendit avec indifférence : « C’est comme si un général prêtait l’oreille pour savoir comment son armée manœuvre. Eh bien ! que