Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/820

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parce qu’elle n’arrivera pas. — Si elle arrivait ? — Alors, Sire, « alors. — Eh bien ! — Votre Majesté est l’idole des braves ; ils seraient dans la désolation. — Les peuples ? — A la merci des rois, et la cause populaire à jamais perdue ! — Perdue ! docteur. Et mon fils ! Supposeriez-vons ?… — Non, Sire, rien ; mais quelle distance à franchir ! — Est-elle plus vaste que celle que j’ai parcourue ? — Que d’obstacles à surmonter ! — Kn ai-je eu moins à vaincre ? Mon point de départ était-il plus élevé ? Allez, docteur, il porte mon nom ; je lui lègue ma gloire et l’affection de mes amis : il n’en faut pas tant pour recueillir mon héritage. »

28. — Même état.

29. — La maladie faisait des progrès rapides ; je revins encore à la charge, et, au risque de lui déplaire, je suppliai Napoléon de ne pas se refuser plus longtemps au secours de l’art. Il ne me répondit rien, resta quelques instants pensif, et me dit : « Vous avez raison, je verrai ; pour le moment, vos soins me sont inutiles : vous pouvez vous retirer. » Je m’en allais, il me retint et se mit à discourir sur la destinée, dont toutes les facultés du monde ne peuvent arrêter ni suspendre les coups. J’essayai de combattre ces funestes doctrines ; mais il parlait avec force, revenait constamment à ses adages : « Quod scriptum, scriptum. Donteriez-vous, docteur, que tout ce qui arrive est écrit, que notre heure est marquée, que nul d’entre nous ne peut prendre sur le temps une part que lui refuse la nature ? » J’osais le contredire, il s’emporta. Je me retirai ; mais un instant avait suffi pour le rendre à sa bonté naturelle. Je n’étais pas dans ma chambre qu’il me fit chercher et me dit qu’il voulait être désormais plus respectueux envers la médecine, qu’il ne mettrait plus en doute son efficacité. « Mais, Sire, les remèdes ! Votre Majesté consentira-t-elle à les prendre ? — Ah ! répliqua-t-il d’un ton qui peignait son excessive répugnance, cela est peut-être aui dessus de mes forces ; c’est une chose inouïe que l’aversion que je porte aux médicaments. Je courais les dangers avec indifférence ; je. voyais la mort sans émotion, et je ne peux, quelque effort que je fasse, approcher de mes lèvres un vase qui renferme la préparation la plus légère : c’est que je suis un enfant gâté qui n’a jamais eu affaire de médecine. » S’adressant à madame Bertrand : « Comment faites-vous pour prendre toutes ces pilules, toutes ces drogues que vous prescrit le docteur ? — Je les prends sans y penser, lui répondit-elle, et je conseille à Votre Majesté d’en faire autant. » Il secoua la tête, adressa la même question au général Montholon, à ses valets de