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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/890

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les sinuosités de la route, puis reparaissaient sur le sommet d’un pic ou dans le creux des vallées. L’Empereur avait dû voir souvent, avec tristesse, s’effacer dans les brumes pour reparaître plus loin, ces ordonnances anglaises, traversant l’île au galop pour satisfaire à tous les caprices de geôliers sans cesse effrayés.

De détour en détour on arriva à des barrières qui furent enlevées. C’étaient les commencements op la demeure que nous cherchions, c’était le terme de notre course ; telles étaient les étroites et faibles limites assignées aux promenades de l’homme qui, d’un bond, franchissait le monde, portant la paix ou la guerre dans un pli de son manteau. La route, descendant par une pente plus rapide, tourne tout à coup ; — au fond, un peu sur la droite, dans un plan assez éloigne, s’étend un immense rocher aux flancs nus et crevassés ; pas un arbre, pas une plante, pas même un brin de bruyère ; rien que le roc, qui, partant de la mer furieuse, encaissait un ravin, resserré par une autre ligne de roches noires dont le sommet se perd dans les nuages ; les écoulements des terres supérieures avaient permis de planter çà et là quelques arbres du nord. Le ravin s’élargissait ensuite, et devenait vallée ; on apercevait au loin, sur le plateau qui couronnait la montagne, au milieu des brouillards, une chétive maison… c’était Longwood ! La vallée était ombragée par de grands chênes… elle s’appellera jusqu’à la fin des siècles la Vallée du Tombeau. A droite de Longwood s’ouvre la vallée fatale. La marche des assistants se poursuivait avec de vives émotions : elle était grave et solennelle comme l’acte qui allait s’accomplir ; chaque cœur, chaque esprit était vivement ému. On était encore assez loin du tombeau lorsque le prince mit pied à terre ; aussitôt chacun fit comme lui, et les uns et les autres, la tête nue, dans le silence du recueillement et du respect, ils arrivent enfin à ce monument funèbre qui renferme tant de grandeur et tant de gloire. Une grille en fer, une pierre, deux saules pleureurs, voilà. tout ce qui reste au maître du monde ! Son nom même, qui eût été la plus grande des oraisons funèbres, son nom n’était pas écrit sur le tombeau. L’aspect des deux saules sous lesquels l’Empereur s’était reposé plusieurs fois, l’un debout, l’autre couché par terre, mort de vieillesse ; cette fontaine, dont il trouvait que l’eau était fraîche et limpide, et enfin le rocher sur lequel tomba l’aigle impériale brisée par la foudre, tel était ce spectacle auguste et solennel. La plupart des assistants se mirent à genoux ; le prêtre les imita ; quelques personnes étaient debout autour de la grille, immobiles et dans une