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Page:Le Ménestrel - 1894 - n°36.djvu/1

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3311. — 60me ANNÉE — No 36.
Dimanche 9 Septembre 1894
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)

LE
MÉNESTREL

MUSIQUE ET THÉATRES
Henri HEUGEL, Directeur

Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d’abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr. ; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d’un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l’Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE

i. Les fêtes de la Révolution française (36e et dernier article), Julien Tiersot. — ii. Semaine théâtrale : reprise de Falstaff, à l’Opéra-Comique, avec M. Fugère, Arthur Pougin ; première représentation des Joies du foyer, au Palais Royal, Paul-Émile Chevalier. — iii. La musique à la cour de Lorraine (1er article) : Le bon roi René, Edmond Neukomm. — iv. Nouvelles diverses et nécrologie.

MUSIQUE DE CHANT

Nos abonnés à la musique de chant recevront, avec le numéro de ce jour :

PREMIÈRE LARME

mélodie nouvelle d’Alph. Duvernoy, poésie d’Armand Sylvestre. — Suivra immédiatement : Chanson cosaque, de Lucien Lambert.


PIANO

Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de piano : Gavotte, de Paul Dedieu-Peters. — Suivra immédiatement : Marche des fiançailles, extraite de la pantomime Pierrot surpris, musique d’Adolphe David.

LES FÊTES DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

(Suite.)

CHAPITRE x

LE CONSULAT
FIN DES FÊTES NATIONALES

iii

En effet, ces traditions de la vie républicaine, tous les actes du gouvernement de Bonaparte devaient tendre à les faire tomber peu à peu dans l’oubli, puis dans la haine. L’on cessa de commémorer les grandes dates de la Révolution : plus de fêtes nationales et populaires, si ce n’est celles qui pouvaient grandir et consacrer la puissance du nouveau maître. Celui-ci ne craignit même pas de faire célébrer le 18 Brumaire en instituant à cette date, en l’an x (9 novembre 1801), une fête nationale, dite « Fête de la paix générale », dont le but apparent était de se réjouir de l’ouverture des négociations qui allaient bientôt aboutir à la conclusion de la paix d’Amiens. On y revit des chars, des cortèges analogues à ceux des fêtes du Directoire : une grande pantomime militaire fut jouée sur un théâtre élevé place de la Concorde, à l’entrée des Champs-ÉLysées ; il y eut parade dans la cour du Carrousel, des joutes et un feu d’artifice sur la Seine, tout ce qui constitue encore à présent la banale fête officielle. Quant à ce qui était naguère l’âme des fêtes nationales, la musique, c’en était fini : elle fit complètement défaut en ce jour. Nous connaissons, à la vérité, un Chant de la paix de Lesueur, qui remonte approximativement à cette époque, et dont la bibliothèque de l’Opéra possède le manuscrit[1] ; mais il est en réalité postérieur de plus d’une année à la fin de 1801 : ce Chant de la paix porte la date du 14 avril 1803, — l’heure même où cette paix était rompue ; très probablement (le lieu où il est conservé en est un suffisant indice) il avait été composé en vue d’une solennité théâtrale, nullement populaire. Le temps du chant national est passé ; voici déjà l’avènement de la cantate !

Aussi bien, la religion de la patrie ne pouvait-elle plus être l’objet du même culte exclusif et jaloux depuis qu’avec l’assentiment et sous la protection de l’État les églises avaient été rendues aux prêtres. La plus belle cérémonie officielle de 1802 fut sans contredit celle du jour de Pâques, où, dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris, en présence des consuls, des autorités et corps constitués, et avec la plus grande solennité, la messe fut célébrée et le Te Deum chanté en l’honneur du Concordat. Et, comme aux idées nouvelles il faut toujours des interprètes nouveaux, ce ne fut plus aux musiciens des fêtes révolutionnaires que l’on eut recours ; le Te Deum de Gossec eût été manifestement déplacé en un pareil jour ! On en fit composer un autre, tout exprès, et ce soin fut dévolu au favori de Bonaparte, Paisiello. Il est probable que l’œuvre donna toute satisfaction au protecteur, car elle ne ressemble pas du tout à celles que les musiciens français produisaient depuis dix années. Le Te Deum de Paisiello est écrit à double chœur ; mais cela est seulement pour la forme, et sans que cette disposition ajoute le moindre intérêt à l’ensemble de la composition, comme ç’avait été le cas récemment avec les œuvres magistrales de Méhul et de Lesueur. Pour tout accompagnement, le musicien italien n’emploie qu’un petit orchestre de violons et de quelques instruments à vent, à l’exclusion de toute sonorité énergique et éclatante ; pas même de trompettes. Par contre, les chanteurs solistes sont en nombre raisonnable : ils chantent des duetti, terzetti, quartetti ; il y aurait des cavatines si c’eût été déjà la mode. Cela nous donne un avant-goût du Stabat mater de Rossini, type le plus recommandable de cette forme d’art. Cette musique édulcorée dut plaire au futur empereur, qui disait un jour à Cherubini : « J’aime la musique qui me berce… »

On pourrait croire pourtant que Bonaparte avait eu un remords. Ayant commandé le Te Deum à un Italien, il craignit sans doute de paraître exiler tout à fait les maîtres de l’école française, et fit écrire par Méhul le Domine salvam par lequel se terminait la cérémonie. Besogne subalterne en vérité : un seul verset de psaume répété trois fois, quelques mesures seulement à mettre en musique. Cela suffit pour montrer la différence. Il y a plus d’inspiration dans les quarante-quatre mesures du Domine salvam de Méhul que dans tous les opéras de Paisiello ensemble. Le génie viril du maître apparaît tout

  1. Voy. Th. de Lajarte, Catalogue de la Bibliothèque de l’Opéra.