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Page:Le Ménestrel - 1896 - n°31.pdf/6

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LE MÉNESTREL

dont le jeu est ferme et serré, avec l’archet bien à la corde, du style et de l’élégance ; Mlle Gillart, premier accessit de 1895, dont l’exécution est charmante, très sentie, très finie, très élégante, très féminine, avec un joli archet, un joli style et un ensemble plein de grâce ; enfin M. Hazelton, un gentil enfant qui a de la sûreté dans l’archet, un bon mécanisme, une exécution nette et parfois élégante, avec le sentiment du style. Je sais bien qu’on ne peut pas récompenser tout le monde, mais il y a tout de même des oublis qui sont douloureux, surtout pour certains qui se trouvent à leur dernière année et qui sont obligés de quitter les classes.

OPÉRA

Comme le concours d’opéra-comique, le concours d’opéra nous réservait une agréable surpris, en ce sens qu’il était de beaucoup supérieur à ce que pouvait nous faire espérer la faiblesse de la double épreuve du chant. Il est certain que la séance n’était pas dénuée d’intérêt, surtout du côté masculin, et ce qui le prouve, c’est que sur onze élèves qui s’y présentaient, le jury n’a pas décerné moins de dix récompenses. Voici d’ailleurs, sous ce rapport, le bilan de la journée.

Hommes.

1er prix : M. Sizes, élève de M. Giraudet.

2e prix : M. Beeyle, élève de M. Giraudet.

1er acc. : MM. Vieuille et Cremel, élèves de M. Giraudet, et Gresse, élève de M. Melchissédec.

2e acc. : M. Chrétien, élève de M. Melchissédec.

Femmes.

1er prix : Mlle Guiraudon, élève de M. Giraudet.

2e prix : Mlle Ackté, élève de M. Giraudet.

1er acc. : Mme Nady, élève de M. Melchissédec.

2e acc. : Mlle Truck, élève de M. Melchissédec.

J’avais décidément parlé trop tôt, la semaine dernière, en me félicitant prématurément de l’absence des petits scandales qui émaillent trop volontiers certaines séances des concours publics. On a vu ce qui s’était passé à celui de tragédie, à propos de Mlle Page ; mais ici du moins, la protestation venait de l’auditoire, et si, en principe, je trouve toujours ces manifestations fâcheuses, je dois dire qu’en l’espèce celle-ci avait sa raison d’être. Au concours d’opéra l’inconvenance, une inconvenance parfaite, venait d’une élève couronnée, Mme Nady, qui n’estimait pas la récompense que lui octroyait le jury à la hauteur du mérite dont elle avait preuve, ce en quoi, au contraire, elle avait parfaitement tort. Lorsque, après avoir proclamé le premier et le second prix décernés aux femmes, M. Théodore Dubois fit appeler Mme Nady, qui avait concouru dans le quatrième acte de la Favorite, une voix…, amie, une seule, s’avisa tout à coup de protester du haut de l’amphithéâtre et de réclamer pour elle un premier prix, ce qui parut un peu burlesque à la masse du public et ce qui amena une petite rumeur dans la salle, rumeur aussitôt apaisée par quelques paroles de M. Théodore Dubois. Tout se serait sans doute borné là. Mais pendant ce temps, Mme Nady, répondant à l’appel de son nom, était venue se poster sur le devant de la scène, les poings sur les hanches, l’œil enflammé, fixant le jury un regard plein d’arrogance, pour ne pas dire de défi. Et quand M. Théodore Dubois, prononçant la phrase sacramentelle, lui eut dit : « Madame, le jury viens de vous décerner un premier accessit », Mme Nady, se drapant dans sa dignité offensée, s’écria d’un air de furie : « Vous pouvez le garder, votre accessit ! » et sortit majestueusement, laissant tout le monde absolument stupéfait de cette incartade.

Je dis que ceci est parfaitement inconvenant, et devrait amener l’exclusion immédiate de l’élève récalcitrante. Rien ne vous force à entrer au Conservatoire ; vous trouvez dans votre admission à l’École, surtout vous autres chanteurs, un avantage assez grand pour vous soumettre sans peine au règlement de la maison et aux devoirs qu’il vous impose. D’ailleurs, par cela même que vous prenez part à un concours, vous devez accepter d’avance, quelles qu’elles soient, les décisions du jury chargé de juger ce concours. Si vous trouvez que celles-ci ne vous sont pas suffisamment favorables, redoublez de travail pour être mieux partagée à l’avenir. Mais vous n’avez pas le droit de protester publiquement, ni surtout de manquer de respect, et d’une façon aussi incongrue, au directeur de l’école dont vous faites partie. Il est certain d’ailleurs, et de l’aveu de tous, que Mme Nady avait obtenu précisément la récompense qu’elle méritait, ni plus ni moins, et elle a pu parfaitement s’en apercevoir à la parfaite indifférence du public à son égard. De tout ceci je ne veux retenir que ce mot que j’ai entendu dire, à la sortie, par un de ces gentils gamins du Conservatoire, qui sont quelque fois plaisants :

— « Moi, si j’avais été du jury, j’aurais donné un premier prix de toupet à Mme Nady ».

Mais il se fait temps de parler de la séance.

M. Sizes qui en était à son premier concours, a enlevé haut la main son premier prix en jouant d’une façon vraiment remarquable une scène admirable d’Iphigénie en Tauride, scène extrêmement difficile et dans laquelle il a fait preuve non seulement d’un véritable tempérament scénique, mais déjà d’un rare talent dans la composition d’un rôle. Une ampleur superbe dans la diction, une réelle puissance dramatique, un jeu très intelligent, avec une physionomie expressive et une articulation solide qui permet de ne pas perdre un mot de ce qu’il chante, telles sont les qualités de ce jeune homme, qui a été toute une révélation.

Peut-être M. Beyle aurait-il obtenu aussi le premier prix, s’il n’avait eu un concurrent aussi redoutable. Tout au moins son second prix est-il bien mérité, mais moins peut-être pour sa scène de Faust, que pour les deux excellentes répliques qu’il a données, l’une à Mlle Guiraudon dans Roméo et Juliette, l’autre à M. Vieuille au troisième acte de Robert, où il a joué et chanté d’une façon charmante le rôle de Raimbaud. M. Beyle sera certainement un artiste souple et intelligent. Il n’a d’ailleurs plus rien à faire dans les classes : ce qu’il lui faut maintenant, c’est l’expérience des planches.

Je n’en saurais dire autant de M. Cremel, qui me paraît avoir bien à travailler encore. Non seulement il est très neuf au point de vue scénique, mais son chant est vulgaire, et je défie l’auditeur le plus attentif de comprendre un mot de ce qu’il dit. Il a donné néanmoins une certaine ampleur, dans le troisième acte du Prophète, à la phrase superbe : Roi du ciel et des anges. C’est dans Bertram de Robert que nous avons vu M. Vieuille, qui s’y est montré très satisfaisant. Il a de l’aisance, il tient bien la scène, et son jeu intelligent a déjà de l’ampleur. M. Gresse, lui aussi, a passé un très bon concours en jouant Saint-Bris dans toute la première partie du quatrième acte des Huguenots (avec les chœurs, s’il vous plaît). Il y a déployé de la fermeté, de la vigueur, de l’accent. Le regard, le geste, la démarche sont excellents.

Il me semble que {{M.|Chrétien} méritait mieux que le second accessit qui lui a été attribué pour la scène de la pomme de Guillaume Tell. Il y a montré peut-être plus de vigueur que de tendresse ; mais il a de la chaleur, de la physionomie, le geste très juste, et il joint à cela une articulation superbe avec un très bon sentiment dramatiqu et scénique. Il avait aussi donné une excellente réplique à Mlle Truck dans Aïda.

Du côté des femmes, le premier prix revenait de droit et sans partage à Mlle Guiraudon. Elle a fort bien joué, avec beaucoup d’intelligence, la scène de l’alouette dans Roméo et Juliette, en y apportant la chaleur, la passion et le sentiment pathétique qu’elle comporte. Sa physionomie expressive, ses attitudes intéressantes donnent une preuve de ses incontestables qualités scéniques. Il est certain que malgré son échec au concours de chant, échec dû à une disposition fâcheuse, cette jeune femme n’a plus rien à apprendre au Conservatoire.

Ce n’est assurément pas le cas de Mlle Ackté, dont le second prix m’a un peu surpris, tout d’abord en raison de la scène qu’elle avait choisie, le trio final de Faust, qui ne peut absolument rien indiquer au point de vue des aptitudes théâtrales. Je sais bien que Mlle Ackté, dont la voix est charmante, a donné un accent délicat au retour de la phrase : Ne permettrez-vous pas, ma belle demoiselle, mais elle a manqué absolument de force dans celle du trio : Ange pur, ange radieux, et d’ailleurs je le répète, le morceau ne peut rien prouver en ce qui concerne le sentiment scénique.

Je n’hésite pas, malgré la frasque dont Mme Nady s’est rendue coupable, à déclarer que son concours dans le quatrième acte de la Favorite a été très satisfaisant, sans être aussi prodigieusement supérieur qu’elle se plaît trop facilement à le croire. La voix est belle, la prononciation bonne ; le chant a de l’accent, de la chaleur et de la couleur, enfin l’artiste fait preuve d’émotion et parfois de pathétique. Son premier accessit était parfaitement mérité.

Mlle Truck a de l’intelligence et d’heureuses qualités. Mais elle manque à la fois de chaleur et de mouvement. Elle devra s’attacher à animer sa physionomie, qui reste trop impassible, et à donner plus d’ampleur à son action scénique. Elle a ce qu’il faut pour arriver, mais il lui faut travailler encore avec ardeur.

Arthur Pougin.

P.-S. — En terminant cette revue des concours de 1896, j’ai une rectification à faire et un renseignement à donner.

Une erreur typographique m’a fait dire une sottise à propos du concours