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Page:Le Ménestrel - 1896 - n°37.pdf/1

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3418. — 62me ANNÉE — No 37.
Dimanche 13 Septembre 1896
PARAIT TOUS LES DIMANCHES
(Les Bureaux, 2 bis, rue Vivienne)
Les manuscrits doivent être adressés franco au journal, et, publiés ou non, ils ne sont pas rendus aux auteurs.)

LE
MÉNESTREL

MUSIQUE ET THÉATRES
Henri HEUGEL, Directeur

Adresser franco à M. Henri HEUGEL, directeur du Ménestrel, 2 bis, rue Vivienne, les Manuscrits, Lettres et Bons-poste d’abonnement.
Un an, Texte seul : 10 francs, Paris et Province. — Texte et Musique de Chant, 20 fr. ; Texte et Musique de Piano, 20 fr., Paris et Province.
Abonnement complet d’un an, Texte, Musique de Chant et de Piano, 30 fr., Paris et Province. — Pour l’Étranger, les frais de poste en sus.
SOMMAIRE-TEXTE

i. Étude sur Orphée (3e article), Julien Tiersot. — ii. Bulletin théâtral : Don Juan à Munich, S. M. — iii. Musique et prison (17e article) : Prisons politiques modernes, Paul d’Estrée. — iv. Journal d’un musicien (5e article), A. Montaux. — v. Nouvelles diverses, concerts et nécrologie.

MUSIQUE DE PIANO

Nos abonnés à la musique de piano recevront, avec le numéro de ce jour :

FEMMES ET FLEURS

de Paul Wachs. — Suivra immédiatement : Chanson d’automne, de Cesare Galeotti.


MUSIQUE DE CHANT

Nous publierons dimanche prochain, pour nos abonnés à la musique de chant : Jours d’automne, mélodie de Charles Levadé, poésie de Jules Oudot. — Suivra immédiatement : Sérénade d’automne, mélodie de L. Delaquerrière, poésie d’André Alexandre.

ÉTUDE SUR ORPHÉE

De GLUCK
(Suite)

Mais ce qui domina chez lui dès les premiers instants, ce fut la préoccupation de la juste expression des sentiments. Burney a raconté de quelle manière fortuite ses idées sur ce point se précisèrent pendant le séjour qu’il fit en Angleterre en 1746. Il avait été chargé de composer un pasticcio sur le sujet de Pyrame et Thisbé, c’est-à-dire de réunir sur un nouveau canevas un certain nombre d’airs choisis parmi ceux qui avaient eu le plus de succès dans ses opéras antérieurs. Or, il advint que, dans les situations nouvelles pour lesquelles ils n’avaient pas été composés, ces airs, naguère applaudis, ne produisirent plus le moindre effet. Et Burney ajoute qu’éclairé par cette expérience « et trouvant que le naturel et la simplicité étaient ce qui avait le plus d’action sur les spectateurs, il s’est depuis moins attaché à flatter les partisans d’une science approfondie qu’à écrire pour la voix dans les tons naturels des affections et des passions humaines.[1] »

Le naturel, la simplicité et l’expression, furent en effet, de tout temps, le triple but de ses recherches. Dans la préface d’Alceste, où, pour la première fois, il énonça publiquement sa doctrine, il écrivit :

« Je cherchai à réduire la musique à sa véritable fonction, celle de seconder la poésie, pour fortifier l’expression des sentiments et l’intérêt des situations, sans interrompre l’action et la refroidir par des ornements superflus… J’ai cru encore que la plus grande partie de mon travail devait se réduire à chercher une belle simplicité… Je n’ai attaché aucun prix à la découverture d’une nouveauté, à moins qu’elle ne fût naturellement donnée par la situation et liée à l’expression… »

Dans une conversation sur la musique française qui eut lieu en 1767 et nous a été rapportée, il parla de nos anciens maîtres de façon à étonner ceux qui ne voyaient encore en lui qu’un compositeur d’opéras italiens. « Il louait dans Lulli une noble simplicité, un chant rapproché de la nature et des intentions dramatiques… »[2].

Son premier collaborateur français, le bailli du Roullet, exprimait évidemment ses idées quand, dans une lettre publique destinée à préparer sa venue à Paris, il blâmait les auteurs d’opéras qui préféraient « l’esprit au sentiment, la galanterie aux passions, et la douceur et le coloris de la versification au pathétique de style et de situation », et quand il louait dans sa musique « un chant simple, naturel, toujours guidé par l’expression la plus vraie, la plus sensible, et par la mélodie la plus flatteuse »[3].

Lui-même, dans une lettre écrite vers le même temps et dans le même but, se mettant sous le patronage de Jean-Jacques Rousseau, lequel était, comme lui « l’homme de la nature », disait : « Nous chercherons ensemble une mélodie noble, sensible et naturelle, avec une déclamation exacte selon la prosodie de chaque langue et le caractère de chaque peuple… ».

Enfin ce même Rousseau, dans son étude sur Alceste, a loué intentionnellement le génie avec lequel Gluck avait exprimé les passions sur lesquelles roule presque exclusivement le sujet, infiniment simple, de cet opéra, — tandis que, de son côté, Burney constatait que la plupart des airs d’Orphée « sont aussi simples, aussi naïfs que des ballades anglaises ».

« Expression, simplicité, naturel », tels sont donc les mots qui reparaissent dans chacune de ces citations. Or, l’opéra italien était si loin d’être un art simple, naturel et expressif, que la recherche de cette triple qualité, de la part d’un compositeur dramatique, constituait une remarquable nouveauté. C’est évidemment vers ce but qu’il dirigea Calzabigi, à la collaboration duquel il rendit hommage en ces termes, à la fin de la préface d’Alceste : « Ce célèbre auteur, ayant conçu un nouveau plan de drame lyrique, a substitué aux descriptions fleuries, aux comparaisons inutiles, aux froides et sententieuses moralités, des passions fortes, des situations

  1. Sur ces différentes matières, voir G. Desnoiresterres, Gluck et Piccini, pp. 9, 23 et 16 de la 2e édition.
  2. Loc. cit., p. 77.
  3. Lettre publiée dans le Mercure de France, octobre 1772, reproduite dans les Mémoires pour servir à l’histoire de la Révolution opérée dans la musique par M. le Chevalier Gluck, mdcclxxxi, p. 2 et 5.