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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/103

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coups de botte sur le bois, à mettre en déroute les derniers restes du sang-froid que jimmy gardait encore. Nous pouvions entendre l’objet de notre sollicitude exaspérée se ruant de côté et d’autre sous les planches. Sa voix forcée avait craqué enfin, et, seuls des pépiements lamentables sortaient de son gosier. Son dos — à moins que ce fût sa tête — frôlait les planches, tantôt-ci, tantôt-là, d’une manière falote. Il piaulait en parant les coups invisibles. C’était plus insoutenable encore que ses cris. Soudain, Archie produisit une pince. Il l’avait mise de côté en même temps qu’une petite hachette. Nous poussâmes un hurlement de satisfaction. Il asséna un coup puissant et de menus éclats de bois nous sautèrent au visage. De là-haut, le maître d’équipage héla :

— Attention ! Ne le tuez pas. En douceur, nom de Dieu.

Wamibo, affolé, pendait la tête en bas, et d’une voix de démence nous stimulait :

— Hou ! Frappez ! Hou ! Hou !

De peur qu’il dégringolât en tuant l’un de nous dans sa chute, nous adjurâmes très vite le maître de « f… le sacré Finnois à l’eau ». Puis, tous ensemble, nous gueulâmes aux planches :

— Ote-toi de dessous. Va vers l’avant.

Puis nous nous tûmes.

On n’entendait que le bourdon profond du vent qui se plaignait sur nos têtes, avec le grondement des lames mêlé au sifflement du ressac. Le navire, comme accablé de désespoir, ballottait sans vie, et le vertige de ce roulis insolite tournoyait dans nos crânes. Belfast clama :

— Pour l’amour de Dieu, Jimmy, où es-tu ?… Frappe ! Jimmy, ma vieille… Frappe ! Sale bête noire de malheur ! Frappe !

Il restait plus muet qu’un mort dans sa tombe, et nous,