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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/105

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Nous tirâmes d’aplomb. Nous sortîmes Belfast d’un élan et le laissâmes retomber avec dégoût. Sur son séant, la face empourprée, il sanglotait désespérément.

— Y a pas moyen de crocher dans son sacré lainage ras !

Soudain la tête et le buste de Jimmy parurent. Il restait pris à mi-corps et, les yeux désorbités, écumait contre nos chevilles. Nous l’assaillîmes dans la brutalité de notre impatience, lui arrachant sa chemise du dos, le halant par les oreilles, ahanant sur lui et, tout d’un coup, nous le sentîmes venir dans nos bras, comme si quelqu’un eût lâché ses jambes. Du même mouvement, sans une pause, nous l’enlevâmes. Son haleine sifflait, ses pieds frappèrent nos visages haussés, il agrippa deux paires de bras au-dessus de sa tête et nous fila entre les doigts avec une telle précipitation qu’il sembla s’échapper de nos mains comme une vessie pleine de gaz. Ruisselants de sueur, nous remontâmes par la corde, en grappe, et, de nouveau saisis par l’âpre souffle du vent, nous restions, l’haleine coupée, pareils à des hommes plongés dans l’eau glacée. Les joues brûlantes, nous frissonnions jusqu’aux moelles de nos os. Jamais auparavant la tempête ne nous avait paru plus furieuse, plus démente la mer, le soleil plus moqueur et plus impitoyable, ni la position du navire plus dénuée d’espoir. Chacun de ses mouvements présageait la fin de son agonie et le commencement de la nôtre. Nous quittâmes la porte, trébuchants, et, surpris par un coup de roulis soudain, nous nous abattîmes en tas. Le mur du rouf nous paraissait plus lisse que du verre et plus poli que de la glace. Aucune prise, sauf un long crochet de cuivre servant à l’occasion à maintenir une porte ouverte. Wamibo s’y cramponnait, et nous nous cramponnions à Wamibo, serrant notre Jimmy. Il était à présent complètement affalé. On ne lui aurait pas cru la force de fermer