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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/153

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qu’ils mangent, répondit Donkin d’une voix blanche et importunée, comme montant du fond d’un trou.

Jimmy considéra ce profil conique à bec d’oiseau avec une sorte d’intérêt bizarre ; penché au bord de sa couchette, sa physionomie revêtait l’expression de calcul et d’incertitude d’un qui délibère sur le meilleur moyen de saisir quelque créature suspecte capable de piquer ou de mordre. Mais il dit seulement :

— Le second s’en apercevra. Y aura du grabuge.

Donkin se leva pour partir.

— Je lui ferai son affaire quelque nuit noire, tu verras si je blague, dit-il par-dessus son épaule.

Jimmy continua vite :

— Tu es comme un perroquet, un perroquet qui crie.

Donkin fit halte et pencha de côté sa tête attentive. Les oreilles trop grandes saillaient, transparentes et veinées, semblables aux ailes membraneuses de la chauve-souris.

— J’t’écoute, dit-il, le dos à son interlocuteur.

— Oui. A jacasser tout ce que tu sais, comme un sale cacatoès blanc.

Donkin attendit. Il entendait le souffle de l’autre lent et prolongé, le souffle d’un homme portant un poids de cent livres sur la poitrine. Puis il demanda, très calme :

— Quoi c’est-il que je sais ?

— Quoi ?… Ce que je te dis… Pas grand-chose. Pourquoi te faut-il… parler de ma santé comme tu fais ?

— C’est une carotte. Une sacrée, monumentale carotte, et de premier choix. Mais j’y coupe pas. Pas bibi.

Jimmy ne broncha pas. Donkin plongea ses mains dans ses poches et d’un seul pas dégingandé se rapprocha de la couchette.

— Je parle, et après ? C’est pas des hommes ici, c’est