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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/17

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l’artiste parle à cette part intime de notre être qui ne dépend point de la sagesse, à ce qui est en nous un don et non pas une acquisition, et qui est, par conséquent, plus constamment durable. Il parle à notre capacité pour la joie et l’admiration, il s’adresse au sentiment du mystère qui entoure nos vies, à notre sens de pitié, de beauté et de souffrance, au sentiment de ce qui nous rattache à toute la création ; et à la conviction subtile mais invincible de la solidarité qui unit la solitude d’innombrables cœurs : à cette solidarité dans les rêves, dans le plaisir, dans la tristesse, dans les aspirations, dans les illusions, dans l’espoir et l’effroi, qui relie chaque homme à son prochain et qui unit toute l’humanité, les morts aux vivants, et les vivants à ceux qui sont encore à naître.

Un tel enchaînement de pensées, ou plutôt de sentiments, peut seul expliquer, dans une certaine mesure, le but que se propose la tentative faite dans le récit qui va suivre pour présenter un aventureux épisode, emprunté aux existences obscures de quelques individus appartenant à la multitude des gens naïfs, simples et sans voix. Car si la croyance dont on vient de faire l’aveu contient une part de vérité, il devient évident qu’il n’est pas un lieu de splendeur ou un coin obscur de la terre qui ne mérite au moins un regard passager d’admiration ou de pitié. L’intention peut donc justifier la matière même de cet ouvrage. Mais cette préface, qui n’est que la confession d’une velléité créatrice, ne saurait se terminer ici, car l’aveu n’est pas encore complet. Un roman — quand il s’efforce le moins du monde d’atteindre à l’œuvre d’art — s’adresse au tempérament. Et ce doit être, en vérité, comme en matière de peinture, ou de musique, ou de toute espèce d’art, l’appel d’un tempérament à tous les autres innombrables tempéraments dont le pouvoir subtil et irrésistible doue les événements éphémères de leur véritable sens,