Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenaient debout une épaule contre la cloison. Des lèvres bougeaient, des yeux étincelaient, des bras agités creusaient des remous dans la fumée. Le murmure des voix semblait s’amasser de plus en plus haut, comme incapable de s’échapper assez vite par les portes étroites. Le quart en bas, en chemise, longues jambes blanches arpentant la pièce, semblait un troupeau de somnambules frénétiques ; tandis que, de temps à autre, un homme de quart en haut entrait brusquement, l’air trop vêtu, incongru par contraste, écoutait un instant, jetait dans la lueur une phrase rapide et s’en courait de nouveau ; mais quelques-uns demeuraient près de la porte, fascinés, une oreille tendue vers le pont.

— Faut se tenir, fistons, rugissait Davies. Belfast tâchait de se faire entendre. Knowles ricanait lentement, d’un air ahuri. Un courtaud à barbe drue taillée ras braillait périodiquement sans discontinuer :

— Qui qu’a peur ? Qui qu’a peur ?

Un autre sauta sur ses pieds, hors de lui, les yeux flamboyants, lâcha un chapelet de jurons sans suite et se rassit tranquillement. Deux hommes discutaient familièrement, se frappant mutuellement la poitrine tour à tour, à l’appui de leurs arguments. Trois autres, leurs fronts à se toucher, parlaient tous ensemble d’un air confidentiel et à tue-tête ; c’était un orageux chaos de discours où des fragments intelligibles surnageaient, ballottés. On entendait :

— A mon dernier embarquement…

— Qu’ça fait ?

— Il dit qu’il va bien.

— J’ai toujours cru…

— N’importe…

Donkin accroupi en tas contre le beaupré, les clavicules à hauteur des oreilles, semblait avec son nez crochu qui