Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il émanait de lui une ineffable sagesse, l’indifférence dure, le souffle glacé de la résignation. Alentour, tous les auditeurs se sentirent en quelque manière complètement éclairés par leur déception même, et, muets, ils faisaient nonchalamment les gestes d’aise insouciante d’hommes aptes à discerner l’aspect irrémédiable de leurs existences. Lui, profond d’inconsciente sagesse, ébaucha un mouvement de bras et sortit sur le pont sans une autre parole.

Belfast, l’œil arrondi, s’abîmait en ses réflexions. Un ou deux matelots se hissèrent, patauds, dans les couchettes supérieures, et, une fois là-haut, poussèrent un soupir ; d’autres plongeaient tête première dans les alcôves de plain-pied, très prompts, et faisant instantanément demi-tour sur eux-mêmes, comme une bête réintégrant son gîte. Le grattement d’un couteau raclant de l’argile brûlée crissait. Knowles ne ricanait plus. Davies dit d’un ton de conviction ardente :

— Alors c’est que notre patron est louf.

Archie grommela :

— Et c’est pas fini cette histoire-là !

Quatre coups furent piqués à la cloche.

— V’là la moitié de notre quart de repos flambé, cria Knowles d’un ton d’alarme.

Puis, réfléchissant :

— Tout de même, deux heures à dormir, ça vaut mieux que rien, observa-t-il, tôt consolé.

Quelques-uns feignaient déjà le sommeil et Charley, dormant à poings fermés, bafouilla tout à coup quelques mots d’une voix blanche, arbitraire :

— Ce sacré gosse a des vers, commenta doctement Knowles sous sa couverture.

Belfast se leva et s’approcha du lit d’Archie.