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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/180

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Il cogna légèrement du dos de la main le haut du crâne incliné.

— Fais attention, mon gars, conclut-il avec bonne humeur.

Donkin ne releva pas l’avis.

— Est-ce qu’ils me vendront ? fit-il avec une inquiétude douloureuse.

— Qui ça… vendre ? siffla Belfast en reculant d’un pas. Je te fendrais le nez à la minute si j’avais pas Jimmy à soigner ! Pour qui nous prends-tu ?

Donkin se leva et suivit de l’œil le dos de Belfast disparu de guingois par l’entrebâillement de la porte. De toutes parts, des hommes invisibles dormaient. Il sembla puiser de l’audace et de la fureur dans la paix environnante. Venimeux, hâve, dans les vêtements d’emprunt où ballottait sa dégaîne, ses yeux luisants erraient autour de lui, comme en quête de choses à fracasser. Son cœur sautait follement dans sa poitrine étroite. Ils dormaient ! Il lui fallait des cous à tordre, des yeux à crever à coups d’ongle, des visages où cracher. Il brandit une paire sale de poings osseux vers les lumignons qui charbonnaient.

— Vous n’êtes pas des hommes ! cria-t-il d’un timbre amorti.

Personne ne bougea :

— Vous n’avez pas le courage d’un rat !

Sa voix monta au diapason d’un cri enroué. Wamibo projeta une tête embroussaillée et le dévisagea d’un œil de folie :

— Vous êtes des balayures de bateau ! J’espère vous voir tous pourris avant d’être morts !

Wamibo clignait les paupières sans comprendre, mais intéressé. Donkin s’assit lourdement, il soufflait avec force à travers ses narines frémissantes, il grinçait et claquait