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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/20

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de l’Art pour l’Art perd la sonorité passionnante de son apparente immoralité. On l’entend résonner au loin, ce n’est plus un cri et on ne l’entend plus que comme un soupir, souvent incompréhensible, mais quelquefois, vaguement, encourageant.


Parfois, nous reposant à l’ombre d’un arbre qui borde la route, nous observons au loin, dans un champ, l’activité d’un laboureur, et, au bout d’un moment, nous nous demandons languissamment à quoi cet homme est occupé. Nous observons les mouvements de son corps, le balancement de ses bras, nous le voyons se courber, se redresser, hésiter, recommencer. Le charme d’une heure oisive peut s’accroître si l’on connaît l’objet de son labeur. Si nous savons qu’il essaye de soulever une pierre, de creuser un fossé, de déraciner une souche, nous prenons plus d’intérêt à ses efforts, nous consentons même à ce que son agitation trouble la quiétude du paysage, et, pour peu que nous soyons dans une disposition fraternelle, nous irons même jusqu’à excuser son insuccès. Nous avons compris son dessein, et, après tout, cet homme a fait de son mieux : peut-être n’avait-il pas la force, peut-être n’avait-il pas le savoir nécessaires. Nous pardonnons, poursuivons notre route, et oublions.

Il en est de même pour celui qui fait œuvre d’art. L’art est long et la vie est courte, et la vérité est lointaine. Et ainsi, incertain de sa force pour un si long voyage, on se met à parler du but poursuivi, du but de l’art qui, comme la vie elle-même, est attirant, malaisé à atteindre, obscurci par la brume. Il ne se trouve pas dans la claire logique d’une conclusion triomphante, il ne se trouve pas dans la révélation de l’un de ces impitoyables secrets qu’on appelle les « lois