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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/225

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des consolations aux bonnes dames qui patronnent le Foyer du marin Scandinave. Wamibo, encore en habits de travail, rêvait, debout et massif, au milieu de la pièce ; et, à l’entrée d’Archie, s’éveilla pour sourire. Mais le commis à l’œil éveillé appela un nom et la paye commença. Un à un ils avancèrent pour toucher le salaire de leur glorieux et obscur effort. Ils raflaient avec soin l’argent dans des paumes larges, le bourraient dans des poches de pantalons, ou, tournant le dos à la table, comptaient avec difficulté au creux de leurs mains gourdes.

— Le compte y est. Signez le reçu. Là… Là, répétait le scribe impatient. Ces marins sont stupides, pensait-il.

Singleton se présenta, vénérable, et incertain s’il faisait jour ou non ; des gouttes brunes de jus de tabac maculaient sa barbe blanche ; ses mains, qui n’hésitaient jamais dans la grande lumière du large, pouvaient à peine ramasser leur petit tas d’or dans la profonde obscurité terrestre.

— Peut pas écrire ? dit le commis choqué. Faites une croix alors.

Singleton, péniblement, ébaucha deux lourds jambages croisés, tachant la page.

— Quelle dégoûtante vieille brute, murmura le commis.

Quelqu’un ouvrit la porte au-devant du vieil homme et le patriarche des mers sortit en trébuchant sans même un regard pour personne.

Archie avait un portefeuille. On le blagua. Belfast, qui semblait allumé comme s’il avait déjà passé par un cabaret ou deux, donna des signes d’émotion et voulut parler au capitaine en particulier. Le patron surpris consentit. Ils parlèrent à travers le grillage et on entendit le capitaine dire :

— Je l’ai remis au Board of Trade.