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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/30

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qui dégoulinait sur sa longue barbe, remuaient sans faire de bruit. Les yeux un peu larmoyants fixaient le livre à travers la luisance des verres sertis de noir. Vis-à-vis, à niveau de son visage, le chat du bord se tenait sur le tambour du cabestan en une pose de chimère accroupie, clignant ses yeux verts en contemplant son vieil ami. Il semblait méditer de sauter sur les genoux de l’ancien, par-dessus le dos courbé du novice assis aux pieds de Singleton. Le jeune Charley était maigre de corps et long de cou. La saillie de ses vertèbres faisait comme une chaîne de monticules sous sa vieille chemise. Sa figure d’enfant des rues — figure précoce, sagace et ironique où descendaient deux sillons profonds de part et d’autre d’une bouche mince et large — touchait presque ses genoux osseux. Il apprenait à faire un nœud plat avec un bout de vieux filin. Des gouttes de sueur perlaient à son front bombé ; il reniflait fortement par intervalles avec un regard du coin de son œil mobile vers le vieux matelot indifférent au gars embarrassé qui marmonnait sur sa tâche.

Le bruit s’accrut. Le petit Belfast, dans la chaleur lourde, semblait bouillir de furie facétieuse. Ses yeux dansaient ; dans le rouge de son visage, comique comme un masque, la bouche béait noire, et grimaçait étrangement. En face de lui un homme, à demi vêtu, se tenait les côtes et, la tête renversée, riait, les cils humides. D’autres ouvraient des yeux stupéfaits. Assis pliés en deux sur les couchettes supérieures, des fumeurs tenaient leurs pipes courtes, balançant leurs pieds, nus et bruns, au-dessus des têtes de ceux qui, en bas, vautrés sur les coffres, écoutaient avec des sourires de naïveté ou de mépris. Par-dessus les bords blancs des couchettes s’allongeaient des têtes aux yeux clignotants ; mais la ligne des corps se perdait dans l’obscurité de ces cavités pareilles aux