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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/32

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— Pas mauvais ! Pas mauvais ! hurla Belfast. Si on ne se sentait pas les coudes… Pas mauvais. Ils ne sont jamais mauvais quand on ne les laisse pas faire, Dieu damne leurs cœurs noirs…

Il écumait, faisant le moulinet avec ses bras, puis soudain sourit et tirant de sa poche une carotte de tabac noir, il en détacha une chique d’un coup de dent avec une affectation de férocité drôle. Un autre nouveau, des yeux fuyants, dans une figure jaune en lame de couteau, qui écoutait depuis un instant, la bouche ouverte, dans l’ombre du maître-caisson, observa d’une voix rêche :

— Ça ne fait rien, c’est le passage de retour. Bon ou mauvais, je me fiche d’eux, tant que je suis sûr que c’est le retour. Quant à mes droits, je les ferai respecter. Ils verront.

Toutes les têtes se tournèrent vers lui. Seuls, le novice et le chat ne firent pas attention. Il se tenait les poings sur les hanches, nabot à cils blancs. Il semblait avoir connu toutes les déchéances et toutes les furies. Il avait l’air d’avoir été giflé, roulé à coups de botte dans la fange, il semblait avoir essuyé des coups de griffe, des crachats, avoir été lapidé d’innommable ordure…, et il souriait avec sécurité aux visages environnants. Le poids d’un melon bosselé rabattait ses oreilles. Les basques en loques d’une redingote noire pendaient comme des franges sur ses mollets. Il défit les deux seuls boutons qui restaient et tout le monde vit qu’il ne portait pas de chemise dessous. Malchance caractéristique, ces haillons, auxquels nul ne se fût avisé d’attribuer un possesseur, prenaient sur lui la physionomie de hardes volées. Il avait le cou long et maigre, les paupières rougies, du poil clairsemé aux joues, les épaules pointues et tombantes comme les ailes cassées d’un oiseau. Son flanc gauche crépi de vase