Aller au contenu

Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

et formidablement sonore. Cela résonna comme deux explosions dans une crypte, le dôme du ciel en retentit et les parois en fer du navire parurent vibrer à l’unisson, puis il se mit en marche vers l’avant avec les autres. Les officiers, attardés près de la porte du carré, purent l’entendre dire :

— N’y a pas quelqu’un pour me donner un coup de main ? J’ai un coffre et un sac.

Ces mots d’intonation égale et sonore portèrent sur toute l’étendue du navire. Le ton de la question bannissait toute velléité de refus. Les pas pressés et courts d’hommes portant un fardeau s’éloignèrent vers l’avant, mais la haute taille du nègre demeura près du grand panneau entouré d’auditeurs plus petits. On l’entendit de nouveau demander :

— Votre cuisinier est-il un gentleman de couleur ? — Puis un « Ah ! H’m » déçu et désapprobateur accueillant l’information que le cuisinier ne se trouvait être qu’un homme blanc. Pourtant, comme ils descendaient tous ensemble vers le gaillard d’avant, il daigna passer la tête par la porte de la cuisine et claironner un magnifique : « Bonjour, docteur ! » qui fit vibrer les casseroles. Dans la demi-obscurité, le cuisinier somnolait sur le coffre à charbon. Il sauta en l’air comme cinglé par un fouet et bondit sur le pont sans y voir autre chose que des dos qui s’en allaient, secoués par des rires. Plus tard, lorsqu’on le mettait sur le chapitre de ce voyage, il avait coutume de dire : « Le pauvre diable m’avait fait peur. J’ai cru voir Satan en personne. » Voilà sept ans que le cuisinier naviguait sur le même bord avec le même capitaine. C’était un homme à tournure d’esprit sérieuse, pourvu d’une femme et de trois enfants. Il jouissait de leur société un mois sur douze en moyenne. En ces occasions, il menait