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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/51

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et le manche du frein d’arrêt bougea en secousses brèves. Singleton s’avança.

Jusque-là, il était demeuré méditatif et sans pensée, plein de calme et vide d’espoir, face austère et unie, enfant de soixante ans, fils de la mer mystérieuse. Six mots auraient exprimé toutes ses pensées depuis le berceau, mais le mouvement de ces choses, qui formaient part aussi intime de son être que son cœur battant, fit passer un éclair d’alerte intelligence sur la sévérité de ses traits âgés. La flamme de la lampe vacillait et le vieillard, fronçant la broussaille de ses sourcils, se pencha sur le frein, vigilant et immobile dans la folle sarabande des ombres dansantes. Bientôt, le navire obéissant à l’appel de son ancre, courut dessus légèrement, la chaîne mollit. Soulagée, elle fléchit et après un balancement imperceptible tomba d’un choc sonore sur les planches de bois dur. Singleton saisit le bras haut du levier et, d’une violente jetée de corps en avant, obtint un demi-tour de plus du frein de serrage. Il se redressa, respira largement et resta quelque temps à fixer d’un œil irrité le puissant et compact attirail vautré sur le pont à ses pieds, comme un monstre bizarre, prodigieux et dompté.

— Toi…, tiens bon ! lui grogna-t-il en maître dans l’inculte broussaille de sa barbe blanche.