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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/60

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Le cuisinier s’approcha pour écouter et resta là rayonnant de l’intime illumination de sa foi, comme un saint infatué et toujours ébloui par sa couronne promise. Donkin, solitaire et ruminant ses griefs à la pointe du gaillard d’avant, vint plus près pour saisir le fil de la discussion qui se poursuivait au-dessous ; il tourna sa face jaunâtre vers la mer et ses narines minces battirent, humant la brise, comme il flânait négligemment vautré sur la lisse. Dans la lumière dorée, des visages brillaient passionnés par le débat, des dents étincelaient, des yeux jetaient des éclairs. Les promeneurs s’arrêtaient deux à deux, tout à coup goguenards ; un matelot courbé sur un baquet se dressa, fasciné, des flocons de savon sur ses bras humides. Les trois officiers subalternes même écoutaient, appuyés en arrière et le dos bien calé, d’un air de supériorité protectrice. Belfast s’arrêta de gratter l’oreille de son cochon préféré, bouche ouverte, œil impatient, guetta la chance de placer son mot. Il levait les bras grimaçant et déjoué. De loin Charley jeta aux parleurs :

— J’en sais plus sur les gentleman que personne de vous. J’ai z’été z’intime avec eusse. Je leur cirais les bottes.

Le cuisinier qui tendait le cou pour mieux entendre fut scandalisé :

— Tiens ta langue quand les anciens parlent, blanc-bec de païen effronté.

— On y va, vieil Alleluia, répondit Charley, te fâche pas.

Une opinion du malpropre Knowles émise d’un air de surnaturelle astuce éveilla un petit rire qui courut, s’enfla comme une onde, déborda soudain formidable. Ils tapèrent des deux pieds, tournèrent vers le ciel leurs faces rugissantes de joie ; plusieurs, incapables de parler, se