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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/72

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pagne terrifiante et voilée. Un poids nous opprimait comme d’un sort jeté.

Cela avait commencé huit jours après le départ de Bombay. Cela était venu sur nous, à l’improviste, peu à peu, comme toute autre grande calamité. Tous avaient observé le manque de cœur de Jimmy à l’ouvrage, mais n’y voyaient simplement que le résultat de sa conception de l’univers.

Donkin disait :

— Tu ne pèses pas plus sur une corde qu’un failli pierrot !

Il le dédaignait. Belfast, en garde pour un pugilat possible, s’écriait, provocant :

— Tu n’as envie de te tuer à la besogne, ma vieille !

— Et toi ? rétorquait le nègre d’un ton de mépris ineffable.

Belfast se replia. Un matin, pendant le lavage, M. Baker héla :

— Envoie ton balai par ici, Wait.

L’interpellé s’en vint traînant la jambe.

— Grouille-toi ! Hou ! grogna M. Baker. Qu’as-tu donc à ton train de derrière ?

L’autre s’arrêta net. Il eut un regard lent de ses yeux proéminents, à l’expression audacieuse et triste.

— Ce n’est pas les jambes, dit-il, c’est les poumons. Tout le monde dressa l’oreille.

— Qu’est-ce qu’ils ont ? demanda M. Baker.

Tout le quart restait là, sur le pont mouillé, le sourire aux lèvres, des balais ou des seaux aux mains. Wait dit lugubrement :

— Je m’en vais de là. Vous ne voyez donc pas que je suis à la mort ? Je le sais, moi.

Dégoûté, M. Baker fit :