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Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/91

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hommes couchés se précipitèrent un à un, les bras en l’air, pour tomber aussitôt sur les mains et les genoux, et ramper à quatre pattes vers l’arrière, le long du pont plus penché qu’un toit de maison. Les vagues se levaient à leur poursuite ; ils fuyaient, vaincus d’une lutte sans merci, comme des rats devant une crue ; ils grimpèrent à la force du poignet, l’un après l’autre, l’échelle de poupe qui émergeait, demi-nus, prunelles dilatées, et, aussitôt arrivés en haut, glissèrent d’un bloc sous le vent, les yeux clos, jusqu’à ce qu’ils s’arrêtassent au heurt brutal de leurs côtes contre les étançons de fer de la lisse ; puis, avec des plaintes, ils roulèrent en un amas confus.

L’immense volume d’eau projeté vers l’avant par la dernière embardée du navire avait défoncé la porte du poste d’équipage. Ils virent leurs coffres, leurs traversins, leurs couvertures, leurs hardes en sortir, flottant sur la mer. Tout en s’efforçant de grimper à nouveau du côté du vent, ils regardaient navrés le désastre. Les paillasses voguaient de haut bord, les couvertes ondulaient étendues, tandis que les coffres demi-pleins et donnant forte bande, roulaient pesamment avant de sombrer, telles des coques rasées ; le gros caban d’Archie passa les bras en croix, comme un matelot noyé la tête sous l’eau. Des hommes glissaient tout en essayant de s’agripper des ongles aux interstices des planches ; d’autres, tassés dans des coins, roulaient des yeux énormes. Tous ils hurlaient sans arrêter : « Les mâts ! coupe ! coupe !… » Un grain noir mugissait dans le ciel bas au-dessus du navire couché sur le flanc, ses bouts de vergue de bâbord pointés vers les nuages, tandis que les grands mâts, inclinés presque parallèlement à l’horizon, semblaient avoir pris une longueur démesurée.

Le charpentier lâcha prise, roula contre la claire-voie